samedi 1 décembre 2012

JO 2022


Dans le 24heures du 27 novembre 2012, Monsieur Jörg Schild, président de Swiss Olympic, s’insurge contre le fait que les critiques faites à la candidature de la Suisse pour les Jeux Olympiques de 2022 « portent sur des questions d’argent et de béton et jamais sur des sujets de fond ».
Prenons-en acte, et passons outre au fait que ce Monsieur évoque plus d’une fois la nécessité d’augmenter le montant attribué au sport par la loterie et l’Office fédéral du sport, et qu’il se plaigne de moins recevoir d’argent que la culture et le social. Ne suivons pas son exemple donc, et ne parlons pas d’argent.
Ne parlons pas de béton non plus, puisqu’il nous le demande, encore que je discerne mal en quoi cette question ne relèverait pas d’un sujet de fond, mais bon...
Parlons de sport donc, et uniquement[1].
Il est évident que celui-ci a sa place dans notre monde lorsqu’il désigne l’exercice physique, tant que celui-ci permet l’épanouissement des corps et le développement harmonieux de l’être humain dans sa totalité : Mens sana in corpore sano...
Toutefois nous parlons ici des Jeux Olympiques contemporains.
Ces jeux dont la charte officielle nous parle de joie dans l’effort, de bon exemple, de compréhension mutuelle, d’esprit d’amitié, de solidarité et de fair-play... Toutes choses qui volent allégrement en éclat lorsque l’on se penche, par exemple, sur ce qui se passe sur, et autour d’un terrain de foot, où se re-jouent alors de façon microcosmique toutes les haines, toutes les médiocrités et les infamies de l’humanité. Ces jeux qui prônent l’esprit de compétition en voulant nous faire croire que celui-ci est possible dans le respect de l’adversaire. Ces jeux qui osent encore nous dire que l’esprit olympique peut aider à la paix dans le monde et à l’édification d’un monde meilleur ! Très joli idéal, qu’un bisounours pourrait vanter sur un terrain de basket imaginaire, ou qu’à l’inverse des propriétaires sans scrupules de clubs sportifs d’envergure internationale invoquent de façon totalement hypocrite, mais dont je me demande quelle personne sensée il peut encore tromper.
Car nous parlons ici de sport-spectacle, et de tout ce qu’il implique. A ce sujet, la lecture d’un ouvrage, récemment paru, de Robert Redeker, intitulé L’emprise sportive[2], peut se révéler éclairante, voire édifiante
La thèse principale de cet ouvrage est la suivante : contrairement à ce souvent l’on veut nous faire croire, à savoir que le sport serait un simple exutoire ou une pratique cathartique, « il n’est pas un reflet – selon la croyance d’une plate et paresseuse sociologie, le football refléterait la société, pour le meilleur et pour le pire – mais l’inverse : le sport structure la société, la modèle, la contraint à lui ressembler. » Il s’avère en fait que le sport nous impose, à tort ou à raison, l’idée que la compétition est la première condition du progrès, et que toute existence doit se mesurer à l’aune de la performance et de l’évaluation chiffrée. Son idéologie est d’autant plus insidieuse qu’elle est rarement explicitement exprimée, sauf peut-être dans la perverse devise olympique (plus vite, plus haut, plus fort), devenue l’hymne de l’homme moderne. On ferait bien de s’interroger sur les dommages collatéraux et les ravages psycho-sociaux d’une telle devise...
Et que les instances dirigeantes ne s’y trompent pas. Qu’elles ne croient pas mettre le sport au service de leur Cité, car ce sport « est tout autre chose qu’un outil ou qu’un moyen qui ne modifierait pas qui compte s’en servir ; il est un système total, une machinerie planétaire qui transforme profondément aussi bien les hommes que le rapport des hommes au monde. [...] Il ne peut en aucun cas être repris comme instrument de libération sociale. Le sport n’est pas ambigu : il est le catéchisme hard du capitalisme, de la guerre de chacun contre chacun et de la loi du plus fort. » N’apportant aucun message d’espoir, voué au culte de l’homme-loup, de l’homme gagnant, conformiste et consommateur.
Est-ce ce culte auquel Monsieur Jörg Schild veut que les Suisses se vouent ? Selon lui, « il est important que notre pays se rassemble autour d’un projet d’envergure et redore [son] blason ». Que la Suisse redore son blason, très bien ! Mais pas aux couleurs des grandes marques qui sponsorisent les Jeux, ni en faisant serment d’allégeance aux valeurs perverses de l’Olympisme contemporain !
Car il y va de la survie de tout ce qui résiste au sport-spectacle, et la poésie avant tout. Hölderlin disait que l’homme habite en poète sur cette Terre. Il me chagrinerait qu’il n’y habitât plus qu’en supporter sportif...

Décembre 2012


[1] Je reprends ici des arguments déjà exposés dans un billet daté de juillet 2012 et consacré au projet Métamorphose à Lausanne.
[2] Robert Redeker, L’emprise sportive, François Bourin Editeur, Paris, 2012

mardi 20 novembre 2012

En réponse à un article paru dans Le Temps sur le nouveau projet du parlement.....


Votre article a le mérite de maintenir le débat à un niveau auquel il n’a sans doute pas eu assez droit ces dernières semaines dans la presse, et ailleurs. Il précipite néanmoins en moi quelques réflexions qu’il me plairait de vous faire partager. Car l’indignation que les nouvelles images du toit du parlement suscitent en vous répond certainement à celle suscitée chez d’autres par le projet initial.
Je fais sans nul doute partie de ces « autoproclamés défenseurs du patrimoine » auxquels vous faites allusion (mais faut-il donc être proclamé tel par une instance extérieure pour acquérir une légitimité, quelle qu’elle soit ?), mais me suis toujours inscrit en faux avec les opposants au sujet de l’asymétrie du bâtiment. Celle-ci bien au contraire, me plaisait tout particulièrement, à moi qui fustige plus qu’à mon tour la dictature de l’orthogonalité absolue et déprimante qui s’impose trop souvent dans les projets actuels ! Sans véritablement critiquer le projet Rosebud en lui-même, c’était bien son incongruité dans un quartier historique qui me dérangeait. Et ceci s’explique bien sûr par la solution que j’ai d’emblée défendue de reconstruire à l’identique un monument classé historique hélas dévoré par les flammes et qu’il me semblait évident de faire renaître, fût-ce dans un acte phénixologique...
A l’asymétrie lui préférer l’ère classique ou néoclassique ne me semble du moins pas une atteinte à la mémoire de Perregaux, bien au contraire.
Par ailleurs, le retour à la tuile vaudoise peut peut-être chagriner certains. Le choix, à l’autre extrême, de l’inox étamé était-il pour autant meilleure option ? Le cuivre par exemple, bien plus fréquent dans ce quartier, eût peut-être été préférable, et s’y serait mieux intégré.
Et votre désir de renoncer au nouveau projet plutôt que d’accepter de telles modifications se comprend aisément, de même que certains opposants voudraient continuer d’empêcher toute construction moderne de s’ériger dans la vieille ville. Nous devrons sans doute ici nous rejoindre dans une compromission qui, même si elle déplaît dans une certaine mesure à toutes les parties, permettra au Grand Conseil de siéger à nouveau à la Cité dans un délai raisonnable et décent.
Pour terminer, je voudrais relever qu’en affirmant qu’ « un parlement contraint de se camoufler n’est pas un très bon signe pour la santé de la démocratie », vous oubliez le fait que c’est justement la démocratie qui, à tort ou à raison, a permis le débat, le référendum et l’évolution du projet.
Ces quelques lignes donc pour entamer avec vous, si le cœur vous en dit, un dialogue sans doute enrichissant et instructif.
Bien à vous,
Richard Tanniger

mardi 13 novembre 2012

Nouveau Parlement, suite et fin ( ?)




Une version modifiée du décrié projet Rosebud nous a été présentée aujourd’hui.
Que dire ? Il serait possible de continuer de s’y opposer pour tenter d’obtenir une reconstruction à l’identique du bâtiment détruit par les flammes. Reconstruction que je considère toujours comme ayant pu avoir été la meilleure solution, la plus respectueuse et la plus élégante de toutes. Mais la forme verbale que je viens d’employer est suffisamment éloquente. Nous savons que cette reconstruction ne se fera jamais, car a été lamentablement enterrée à mesure qu’on laissait croupir les restes intouchés par l’incendie du bâtiment Perregaux.
Dès lors, il convient de prendre acte de la situation actuelle. Le projet remanié a l’immense avantage d’avouer au peuple que certaines modifications, que jusqu’à l’acceptation du référendum on nous certifiait être impossibles, l’étaient finalement ! Faute avouée... Même si le projet remanié s’en retrouve appauvri, notamment sur le plan énergétique (mais bon, les standards Minergie et cie, purement et exclusivement technicistes doivent-ils aveuglement s’appliquer dans un quartier historique ? Je ne le pense pas, et n’ai aucun regret de ce point de vue-là !!), il a le mérite de proposer une solution (pensons surtout au changement de l’inox pour des tuiles) qui ne dénaturera pas, trop, le quartier, et tente, plus ou moins, honnêtement de résoudre le conflit. Ainsi les opposants ont-ils réussi à empêcher des dérives qui eussent été fort malvenues dans un quartier historique, et les initiants à défendre tout de même un projet de construction moderne. Il sera sans doute sage de s’en accommoder et de s’en tenir à ces acquis, malgré les regrets que chacun, et j’en suis le premier, en garderont.
Peut-être que je m’incline trop facilement devant le compromis, je ne sais : je ne suis sans doute pas Suisse et Vaudois pour rien... !
Ainsi donc : ils ont laissé pourrir ces ruines durant trop longtemps (à ce sujet il faudrait peut-être encore présenter des excuses en bonne et due forme), ils ont tenté d’imposer un projet inadéquat et incongru, mais ont pris acte de l’ouragan de critiques que celui-ci a provoqué, et proposent maintenant un compromis, que d’aucuns qualifieront sans doute de fade et un peu trop vaudois, mais qui a le mérite de pouvoir mettre fin à une querelle légitime et, enfin, de permettre au Grand Conseil de siéger à nouveau au cœur de la Cité.
Car même s’il me chagrine méchamment que nos élus aient tristement décidé de ne pas reconstruire ce bâtiment, il me chagrinerait, presque autant, qu’ils se voient forcés de laisser encore pendant une dizaine d’années des ruines pourrissantes au cœur de la Cité...

Lausanne, le 13 novembre 2012

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mardi 11 septembre 2012

Blues lausannois... Lettre ouverte aux autorités...




Lettre ouverte aux autorités lausannoises et cantonales, décideurs du projet « Plate-forme Pôle muséal »

Jusqu’au 24 septembre 2012 est mis à l’enquête le plan d’affectation cantonal de la « Plate-forme Pôle muséal ».
Dès que ce projet fut présenté, on érigea, à nouveau, le minimalisme en dogme de la pensée architecturale et urbaniste lausannoise. Dans un éditorial du 24Heures, le rédacteur en chef Thierry Meyer évoquait dans ce choix une « intelligence [...] bien vaudoise, [...] d’une rationalité élégante, d’une audace qui préfère la simplicité à l’esbroufe. » Mais qu’est-ce donc que cette intelligence vaudoise, qui se réfugie dans le pur rationnel, le lisse, le soigné, le conforme, et qui apparemment n’ose plus flirter avec l’exubérance, la fantaisie et le rêve, ne nous offrant plus que surfaces stériles, volumes simplistes, autels voués à l’orthogonalisme (corollaire de la pensée droite) le plus déprimant et le plus fade ? Est-ce donc là toute « l’audace » vaudoise ? Qui ne propose plus au citoyen que de déprimantes infographies grises et cubiques (ou parallélépipédiques) en guise de visions d’avenir ?
Le précédent projet de musée à Bellerive avait pourtant clairement été rejeté, entre autres, pour son aspect bunker et cercueil à chaussures... Mais De gustibus et coloribus non disputandum me répondra-t-on, encore et toujours... Toutefois, en une attitude pathologiquement psychorigide, et, peut-être, par un souci de gloriole testimoniale, nos autorités s’obstinent.
Parlons du rapport au passé alors. Le projet retenu par l’audacieuse élite dirigeante vaudoise oublie que le cahier des charges stipulait que la halle aux locomotives devait être préservée autant que possible. Mais qu’importe la plus petite considération pour le moindre héritage architectural face au credo bassement utilitariste de la densification à outrance qui gangrène peu à peu tout Lausanne ? Car tout bâtiment, à moins d’avoir la chance d’être surclassé et surprotégé, n’est plus envisagé avec condescendance que comme un « témoin sympathique du patrimoine régional », dont on se débarrasse allégrement et sans la moindre compassion. Pour preuve le bâtiment de Francis Isoz, anciennement rue de la Gare 39 que nos autorités ont livré aux pelleteuses de l’empire Edipresse, qui désirait depuis longtemps se débarrasser d’un témoignage de l’héritage architectural du début du 20ème siècle qui ne s’accordait plus avec ses visions d’avenir. Lausanne a clairement amorcé une politique ouverte de démolition. J’en veux pour autre preuve la prochaine démolition du Lausanne Guesthouse, abandonné à la politique d’expansion de la gare CFF, qui certes souffre d’engorgement et d’une explosion démographique qu’il serait peut-être bon de cesser d’encourager (mais ceci est un autre débat), et prétend que la seule solution à sa nécessaire expansion est de détruire et démolir nombre d’immeubles admirables du siècle passé. Les architectes-démolisseurs nous disent leur « obsession de l’intégration à la ville ». J’attends encore que l’on m’explique en quoi leurs surfaces stériles s’intègrent, ou même s’accordent avec leur environnement bâti (à moins bien sûr que la négation de toutes les caractéristiques architecturales qui les entourent ne soit une nouvelle définition de l’intégration... Elle semble en tout cas une définition de l’urbanisme contemporain à Lausanne : son architecture est un manifeste du vide et de la platitude absolue, une négation de tout héritage architectural et patrimonial).
Dès lors, quelle est la logique urbanistique qui amène à concentrer à la gare les principaux musées lausannois ? Alors que visiteurs et touristes pourraient visiter ces musées en parcourant tout Lausanne (tout d’abord l’Elysée, puis Rumine en son centre, et enfin le MUDAC qui les amènerait à parcourir la vieille ville), participant ainsi pleinement et véritablement au dynamisme voulu par les autorités, on les concentre et les confine autour de la gare.
De plus, ce pseudo concept de « Projet plate-forme pôle muséal » fait méchamment penser à un genre de centre commercial de la culture, où tout est à portée de main, à proximité de la gare, qui elle aussi vise au commercial avant tout. Et on sait depuis la reconfiguration du Flon que nos autorités apprécient, et pire encore, vantent le fait que « le cœur de Lausanne tend à devenir un grand centre commercial à ciel ouvert[1] ». Perspective hautement réjouissante, donc....

Je finirai par demander à nos autorités, alors que Monsieur Michel Thévoz, ancien conservateur du Musée de l’Art brut et professeur d’histoire de l’art à l’université de Lausanne, avait démontré que le Palais de Rumine est, et pourrait rester, le lieu idéal du Musée cantonal des Beaux-Arts (et nous sommes nombreux à l’appuyer en ce sens), pourquoi elles ont sciemment ignoré et passé outre ses excellentes compétences en muséologie, et pourquoi elles s’obstinent à vouloir créer un nouveau musée quand celui-ci existe déjà ?



Richard Tanniger

Lausanne, septembre 2012



[1] Olivier Français dixit....

dimanche 22 juillet 2012

Référendum cantonal : Non au toit !




Les Vaudois seront peut-être amenés à voter sur le projet Rosebud du futur Parlement à la Cité.
Ce projet, dont on peut apprécier les qualités architecturales intrinsèques (mais ceci n’est pas l’enjeu du débat) constitue un scandale dès lors qu’on veut l’implanter au sein du quartier historique de Lausanne.

Certes, il est parfaitement « légal ».
Il n’en demeure pas moins que par un brillant tour de passe-passe, ce projet est légal en regard du plan d’affectation cantonal spécialement créé pour lui, mais déroge totalement aux règles imposées à n’importe quel autre bâtiment de la Cité. Ainsi, l’harmonie et la cohérence protégées par le plan d’affectation du site sont-elles allégrement contournées par ce projet. Comment les autorités pourront-elles empêcher par la suite n’importe quel particulier de faire n’importe quoi dans ce quartier, dès lors qu’on leur répliquera qu’elles-aussi s’en sont octroyé le droit ?

Certes, il répond aux plus récentes normes en vigueur en matière de développement durable et de constructions « écologiques ».
Mais on sait que trop souvent ces éco-constructions n’ont que faire de l’intégration esthétique à l’environnement bâti. Il convient aussi de se méfier du terrible effet de mode que l’écologie bien pensante nous impose de nos jours.

Dès le lendemain de l’incendie, face à la destruction d’un important bâtiment néo-classique du tout début du 19ème siècle, l’attitude la plus intelligente et respectueuse eût été de le reconstruire à l’identique. Mais les autorités refusèrent d’emblée d’entrer en matière sur une telle reconstruction. Elles décidèrent, après avoir volontairement laissé pourrir et se dégrader définitivement pendant plusieurs mois, voire plusieurs années, les quelques restes intouchés par cet incendie, de les remplacer par autre chose.

C’est aujourd’hui contre cet autre chose que les référendaires se battent.

Si vous aussi vous vous insurgez contre un tel projet irrespectueux de l’héritage culturel et architectural, contre la volonté d’ériger un bâtiment qui n’a définitivement pas sa place dans un quartier historique, et qui se moque de la préservation de l’harmonie de la vieille ville lausannoise, signez le référendum, disponible sur www.non-au-toit.ch.



Lausanne, le 22 juillet 2012

vendredi 20 juillet 2012

Du rejet de la circoncision




La circoncision est le substitut symbolique de la castration que le père primitif et omnipotent avait jadis infligée à ses fils. Quiconque acceptait ce symbole montrait par là qu’il était prêt à se soumettre à la volonté paternelle, même si cela devait lui imposer le plus douloureux des sacrifices.

Sigmund Freud


La décision des juges de Cologne de remettre en cause la pratique de la circoncision pour motifs religieux soulève nombre de questions fondamentales, qu’elles soient d’ordre anthropologique, religieux, idéologique, pénal, etc.
Cette décision provoque bien évidemment l’ire des grands mouvements religieux concernés, qui invoquent le droit à la liberté de croyance, et insistent sur l’importance de cette pratique en regard des lois fondamentales qui leur sont prescrites par leur dieu et leurs textes sacrés.
Si ces croyants acceptent que de telles lois gouvernent leur âme et leur corps, grand bien leur fasse. Mais il est clair que de les imposer à d’autres, en l’occurrence aux nouveau-nés mâles, ne relève plus d’une liberté de croyance individuelle. Laissons donc aux mâles le choix de se faire volontairement mutiler lorsqu’ils auront atteint un âge suffisamment décent pour ce genre de décision. Car il s’agit bien d’une mutilation génitale, d’une amputation barbare et irréversible, d’une blessure infligée sans impératif médical à un tout jeune enfant et qui, de ce fait, devrait effectivement relever du droit pénal. Et si cette pratique se justifie selon eux car dictée par une loi divine (la circoncision étant établissement d’un pacte d’allégeance entre l’homme et son dieu), il serait bon de leur rappeler que, jusqu’à preuve du contraire, nous ne vivons pas dans un régime théocratique, et qu’il n’y a aucune raison que ces lois prévalent sur celles du code pénal.
En outre, au-delà de ces considérations strictement factuelles, il est fort intéressant de s’interroger, dans une optique plus psychanalytique, sur les raisons symboliques de ceux qui, même non-croyants, s’insurgent contre la décision allemande.
La circoncision institue un lien avec la transcendance, mais en refoulant en l’homme tout signe féminin[1]. Elle détache le garçon de sa mère et, en l’introduisant dans la communauté des hommes, renforce sa masculinité. Ainsi refuser la circoncision reviendrait à s’insurger tout d’abord contre un mode de domination de type patriarcal, mais surtout contre « tout renoncement, pour tout être humain, au jeu bisexuel, sacrilège car il serait rivalité fantasmatique avec Dieu, volonté d’empiétement sur son être[2] », relevant d'une mystique, aspiration ou nostalgie androgyne. Plus simplement, ce serait refuser toute partition exclusive des rôles sexuels. On sent poindre ici les discours misogynes et homophobes,...
Refuser la circoncision (tout comme le refus des lois cérémonielles de la Thora ou du Coran, ainsi que des lois alimentaires) serait une révolte contre le signe de la soumission de l’homme à Dieu, un abandon du monothéisme pour le paganisme.
Tout ceci n'étant bien sûr qu'une ébauche sommaire d'interprétation, mais qu'il serait passionnant de mener plus avant.
On comprend toutefois déjà aisément pourquoi les religions monothéistes, forcément exclusives et intolérantes, mais aussi tous ceux qu’une telle remise en question des rapports entre masculin et féminin au sein de l’individu dérange se sentent si offusqués et menacés...


Lausanne, juillet 2012


[1] « Nunberg a établi le fait que la circoncision peut avoir le sens de la perte de la mère, et a examiné plus en détail la signification du prépuce comme symbolisant le vagin, le rectum et la féminité ». Masud/Khan, « Le fétichisme comme négation du soi », in Nouvelle revue de psychanalyse numéro 2, automne 1970
[2] Roger Lewinter, « Groddeck : (anti)judaïsme et bisexualité », in Nouvelle revue de psychanalyse numéro 7, printemps 1973

mardi 17 juillet 2012

Green lantern...



Nulle ombre de révolte ce soir, ni d'insurrection ou de scandale...


Juste un petit billet sans intentions polémiques, et charmé...


Rentrant chez moi par le pont Bessières, mon septentrion se vit occulté par la silhouette, toujours enchanteresse, de la cathédrale, en cette nuit illuminée d'une étrange lueur verte, presque fluorescente...


Merci à ceux qui oeuvrent à nous offrir ces luminescences décalées, que d'aucuns, sans doute, trouveront déplacées... Mais qu'importe!!


Lausanne s'endormira cette nuit, et moi avec, baignée d'une atmosphère irréelle...




dimanche 1 juillet 2012

Panem et circenses


Lausanne vit à l’heure du projet Métamorphose. Les autorités lausannoises estiment que le développement de la ville doit se faire à travers quatre axes principaux, dont le premier, du moins selon l’ordre de présentation qui nous est proposé, est une « redistribution des équipements sportifs. Le projet dotera la ville d’équipements sportifs modernes, avec, au nord, un stade d’athlétisme, une salle sport-spectacle, un centre sportif et, au sud, un complexe sportif regroupant stade de football, piscine olympique et boulodrome. Toutes les installations, et en particulier la salle sport-spectacle et la piscine, ont une forte vocation populaire. »
On peut facilement comprendre ce qui motive ce projet : l’immense engouement populaire pour les grandes manifestations sportives, l’afflux de capitaux drainés par les fédérations sportives internationales, CIO en tête... Mais peut-être serait-il bon de s’interroger sur les implications d’une telle option urbanistique. Pour ce faire, la lecture d’un ouvrage, récemment paru, de Robert Redeker, intitulé L’emprise sportive[1], sera éclairante, voire édifiante.
La thèse principale de cet ouvrage est la suivante : contrairement à ce que souvent l’on veut nous faire croire, à savoir que le sport serait un simple exutoire ou une pratique cathartique, « il n’est pas un reflet – selon la croyance d’une plate et paresseuse sociologie, le football refléterait la société, pour le meilleur et pour le pire – mais l’inverse : le sport structure la société, la modèle, la contraint à lui ressembler. » Il s’avère en fait que le sport nous impose, à tort ou à raison, l’idée que la compétition est la première condition du progrès, et que toute existence doit se mesurer à l’aune de la performance et de l’évaluation chiffrée. Son idéologie est d’autant plus insidieuse qu’elle est rarement explicitement exprimée, sauf peut-être dans la perverse devise olympique (plus vite, plus haut, plus fort[2]), devenue l’hymne de l’homme moderne.
Et que les instances dirigeantes ne s’y trompent pas. Qu’elles ne croient pas mettre le sport au service de leur Cité, car ce sport « est tout autre chose qu’un outil ou qu’un moyen qui ne modifierait pas qui compte s’en servir ; il est un système total, une machinerie planétaire qui transforme profondément aussi bien les hommes que le rapport des hommes au monde. [...] Il ne peut en aucun cas être repris comme instrument de libération sociale. Le sport n’est pas ambigu : il est le catéchisme hard du capitalisme, de la guerre de chacun contre chacun et de la loi du plus fort. » N’apportant aucun message d’espoir, voué au culte de l’homme-loup, de l’homme gagnant, conformiste et consommateur.
En accordant une place si importante au sport dans le développement de la cité, nos autorité font de Lausanne, inconsciemment peut-être, un bastion de cette idéologie perverse. Il serait salutaire qu’elles se consacrent à mettre en avant une Lausanne culturelle, non de cette culture de masse imbécile incarnée, par exemple, dans les débordements sonores liés aux mondiaux et autres matchs de l’Euro, mais une Lausanne qui mise avant tout (là est l’essentiel) sur les théâtres, l’opéra, le Ballet Béjart, l’OCL, que sais-je encore...
Car il y va de la survie de tout ce qui résiste au sport-spectacle, et la poésie avant tout. Hölderlin disait que l’homme habite en poète sur cette Terre. Il me chagrinerait qu’il n’y habitât plus qu’en supporter...

Juillet 2012




[1] Robert Redeker, L’emprise sportive, François Bourin Editeur, Paris, 2012
[2] Lausanne, qui se targue d’être une ville olympique, ferait bien de s’interroger sur les dommages collatéraux et les ravages psycho-sociaux d’une telle devise...

lundi 28 mai 2012

Fantômes sémiotiques...


Relisant hier la nouvelle inaugurale de William Gibson, Le continuum Gernsback, je m’amusai d’abord d’y relever, à propos du Johnson’s Wax Building de Frank Lloyd Wright, que sa réalisation « semblait avoir été conçue pour des êtres en toges blanches et sandales de plexiglas. » ! Mais passons... quoique...
Plus intéressante était la remarque que faisait au narrateur l’un de ses amis à propos d’une vision que celui-là aurait eue :
« Si tu désires une explication plus chic, je peux te dire que tu as vu un fantôme sémiotique. Prends ces histoires de contactés par exemple. Eh bien, elles s’ancrent toutes dans une espèce d’imagerie de science-fiction qui baigne notre culture. Je t’assure que je pourrais accepter ces extraterrestres s’ils n’avaient pas l’air de sortir des bandes dessinées des années cinquante. Ce sont des fantômes sémiotiques, des rescapés d’une imagerie culturelle enfouie au plus profond de l’inconscient qui ont acquis une existence propre, à la façon des véhicules spatiaux de Jules Verne que les vieux fermiers du Kansas ne manquaient jamais d’apercevoir. Et toi, tu as vu un autre type de fantôme, voilà tout. Cet avion appartenait autrefois à l’inconscient collectif et tu as flashé là-dessus. L’essentiel, c’est de ne pas t’inquiéter à ce sujet. »
Il faut bien sûr d’abord y voir une description intelligente des processus à l’œuvre dans le steampunk, mais il peut également être intéressant d’appliquer cette idée à certains modèles architecturaux.
Si l’on pense à quelques films qui ont marqué l’imaginaire de la SF, tels que THX 1138, ou, pour prendre un exemple beaucoup plus récent, The Island, il aurait pu être amusant qu’un homme du XXIème siècle fût victime d’hallucinations d’univers urbains blancs monochromes, et que ceux-ci ne relevassent que de ce phénomène de fantômes sémiotiques.
Hélas, si l’on se penche sur les illustrations de nombre d’éco-quartiers que l’on nous propose aujourd’hui, il semble que ces espaces uniformément blancs, épurés, aseptisés et confinés, mais présentés de manière idyllique, aient quitté le domaine du fantomatique pour le réel. L’imagerie SF des années 30 et 50 semble avoir quitté le monde de la représentation fictive pour celui des présentations infographiques des nouveaux architectes.
Je me réserve pour plus tard l’exercice, qui sera sans doute édifiant, consistant à comparer les représentations iconographiques des dystopies urbaines futures avec les alarmantes infographies actuelles. Mais j’engage déjà chacun à commencer d’y penser...
Car je pense qu’il y a lieu de s’inquiéter. Et sérieusement.


Lausanne, mai 2012

mardi 10 avril 2012

Ecologies...

L’écologie, nous dit l’étymologie, se veut l’étude des milieux qu’habitent, entre autres, les être vivants que nous sommes, et des rapports que ceux-ci entretiennent avec ceux-là. Elle vise à penser le meilleur équilibre possible entre l’homme et son environnement naturel. L’écologie est donc avant tout pensée et réflexion. Interrogation sur ce qui constitue l’habitation au sens large (oikos) de l’homme.
Je voudrais ici brièvement questionner au sujet de l’écologie telle qu’elle se présente à nous actuellement.
L’on sait le monde catastrophique que, sans aucun doute à raison, les écologistes veulent éviter. Ce monde, je n’en veux pas non plus. Mais, en réponse à ce problème, que nous propose-t-on aujourd’hui, dans le domaine de l’architecture et de l’habitat, à Lausanne en particulier ? Le discours courant et désormais communément admis se réfère avant tout à des critères strictement techniques. On nous démontre que l’essentiel du parc immobilier est ancien et mal isolé, certes, mais ouvrant ainsi grand la porte au désir de certains de faire table rase du passé et de démolir ce qui ne correspond plus aux nouvelles normes. Conception, on le sait, très en vogue au sein des instances dirigeantes de Lausanne. On nous définit nos futures maisons comme des « outils technologiques complexes [1]» à utiliser et à habiter de manière adéquate et cohérente. Conception tristement rationnalisante et techniciste de l’habitation.
 Le label Minergie nous est présenté comme l’idéal absolu de la réflexion écologiste actuelle. Qu’en est-il de ce label ? Des isolations démentielles à triple vitrage, des systèmes d’aération où le simple fait d’ouvrir une fenêtre est considéré comme un crime contre l’économie d’énergie, des insonorisations extrêmes qui frisent l’autisme le plus déprimant, une absence totale enfin de toute prétention à l’ornementation et la décoration du bâti, et j’en passe...
Cette soumission de la pensée écologique à des critères strictement techniques et économiques me semble extrêmement réductrice. Car elle oblitère totalement la pensée poétique de ce qui fait l’habiter de l’homme. Car on sait «qu’il pourrait être utile de considérer avec calme la parole du poète. Elle parle de l’habitation de l’homme. Elle ne décrit pas les conditions présentes de l’habitation. Surtout, elle n’affirme pas qu’habiter veuille dire avoir un logement. Elle ne dit pas davantage que la poésie ne soit rien de plus qu’un jeu irréel de l’imagination poétique. [2]» Nécessité donc de penser le réel qui nous environne à la lumière, aussi, de la poésie et de l’imaginaire.
Toutefois c’est bien la conception purement techniciste de l’écologie et du développement durable qui constitue l’un des enjeux principaux du projet Métamorphose imposé par la municipalité rose-verte de Lausanne.
L’on constate également que l’un des autres piliers de Métamorphose est l’aspect économique, dont les mots d’ordre sont la croissance et l’attractivité.
Il me semble urgent qu’enfin, une fois pour toute, quelqu’un relève le fait paradoxal que c’est cette croissance outrancière, vantée par nos dirigeants, qui est en grande partie responsable du monde qui appelle justement à la création de ces horribles écoquartiers à 2000W pour survivre ! Il me semble difficilement possible de prôner en même temps une croissance démographique à tout prix et un aménagement intelligent du territoire.
Car sinon, quel rapport au monde nous est proposé ? Les solutions qu’on nous impose, à quoi donc vont-elles nous mener ? Il serait bon que ces « éco-architectes » se plongent dans la lecture des grands récits dystopiques de la science-fiction, histoire qu’ils se rendent compte des dangers potentiels que leurs modèles peuvent annoncer. Ou qu’ils s’interrogent sur ce sujet avec un Luc Schuiten, par exemple...
Mais sur ce dernier point, je reviendrai tout prochainement...




Lausanne, avril 2012


[1] Cf. le dossier de Tribu’architecture, mandaté notamment pour le projet d’écoquartier des Plaines du Loup (je souligne).
[2] Martin Heidegger, Essais et conférences [1954], Paris, Gallimard, 2004, p. 226.

mercredi 7 mars 2012

Rénovations à la Rue Curtat


Il convient tout d’abord de chaleureusement remercier ceux qui ont décidé de maintenir et de rénover ces bâtiments, car nous sommes à Lausanne, et il avait de ce fait bien évidemment été envisagé de les démolir...
L’on constate avec plaisir le maintien des éléments suivants : conservation de la structure, charpente rénovée, maintien de certains parquets et escaliers d’origine[1], des encadrements en molasse, des volets sur certaines façades, ainsi que des tuiles en terre cuite (les maîtres d’œuvre du projet Rosebud, prévu non loin d’ici, devraient en tirer une leçon...)
La présence toutefois de certains détails m’interpelle : l’intrusion du béton apparent, notamment dans l’horrible ajout strictement orthogonal au toit plat, ainsi que dans l’escalier de communication intérieure, l’usage des ferronneries en étain au lieu du cuivre que l’on trouve dans tous les autres bâtiments environnants, la barrière du balcon, en métal gris également et totalement dépourvue de décorations, les portes vitrées et en métal (alors que pourtant une troisième a été refaite en bois par un menuisier talentueux), le blanc pur des façades.
Il y a sans doute deux principales explications à cela. D’une part un impératif strictement économique, dont tout propriétaire doit hélas tenir compte (il est meilleur marché en effet de poser des barrières en métal lisse et sans décorations plutôt qu’en fer forgé ouvragé, des portes vitrées ou entièrement métalliques plutôt qu’en bois travaillées par des artisans). Et d’autre part le désormais sacro-saint et inattaquable impératif écologique et le nouveau despotisme de la labellisation Minergie. Il est certes louable que soient alloués des subsides pour de telles rénovations, mais parallèlement au Centime Climatique, ne pourrait-on songer à je ne sais quel Centime Esthétique, qui permettrait et récompenserait l’élégance classique, la cohérence architecturale plutôt que la simple soumission à des critères strictement et désespérément techniques ?
L’idée en fera sans doute sourire plus d’un, mais les critères écologiques et économiques doivent-ils impérativement prévaloir sur tous les autres, au détriment du paysage urbain ?


Lausanne, le 7 mars 2012



J'ose espérer que la partie gauche de l'immeuble n'est pas définitive...
L'on constate toutefois qu'il semble désormais impossible aux architectes contemporains de se limiter aux toits en pente...


Verre, métal et béton: sommes-nous bien dans un quartier historique??


Dieu merci, certains ne renoncent pas encore aux matériaux nobles et élégants...


[1] Je constate toutefois que les escaliers en question se retrouvent isolés dans des cages lisses et d’un blanc immaculé, et donnent la désagréable impression d’avoir été conservés comme des pièces de musée... Impression relayée par l’ambiance intérieure générale, aux murs lisses, aux plafonds sans moulures, aux angles abrupts, et qui ne rappelle plus en rien celle d'un appartement d’époque.

lundi 5 mars 2012

Habitat et transparence

Une architecture qui se nie...


Pour qui s’intéresse aux tendances actuelles en matière d’habitat et de construction, la Suisse semble offrir, à en croire certains organes de la presse régionale, plusieurs modèles de maison idéale : la lauréate du Prix d’architecture 2012 d’IdealesHEIM dans le canton de Fribourg, le bâtiment érigé au-dessus de Sierre par Renggli architectes ou celui près du lac de Lugano par Jacopo Mascheroni, pour ne citer qu’eux. Avec comme mantra l’ode absolu à la transparence, qui nous est présentée comme une sublimation de l’espace construit, une symbiose entre habitat et environnement[1].
Que peut-on en dire ?
Commençons par relever que l’argument principal en faveur de telles constructions les restreint à un très petit nombre de privilégiés. Car la jouissance qu’elles offrent à leurs occupants de panoramas idylliques n’est permise qu’à des constructions isolées et perdues au sein d’une nature certes magnifique, mais qui ne l’est justement que si elle n’est pas dénaturée (c’est le cas de le dire) par d’autres constructions bétonneuses ! Il y aura encore beaucoup à en dire...
Passons ensuite sur l’usage excessif de ce béton si laid et vulgaire, pour nous concentrer sur ce « sentiment d’être dehors tout en étant à l’intérieur », induit par le floutage de la frontière entre extérieur et intérieur.
Cette problématique du Dedans et du Dehors est fascinante à plus d’un titre : fondamentale pour l’architecture, car celle-ci est sans doute le seul art à penser la spatialité intérieure comme centrale à sa pratique ; et elle nous amène également à l’envisager d’un point de vue psychanalytique. L’on sait en effet que depuis les années trente et l’avènement du plan libre, « l’habitation privée de parois closes et infranchissables, projetée à l’extérieur, ouverte vers un horizon éloigné, indéterminé, l’affranchissement par rapport à la limitation d’une coquille extérieure, sembla un signe de la libération de l’homme à l’égard de la captivité close à laquelle l’avait contraint l’indispensable présence du mur (de bois, de maçonnerie) et qui désormais, avec l’avènement de l’acier et du verre, venait à disparaître.[2] » Ainsi les grands maîtres du rationalisme européen, Mies van der Rohe, Le Corbusier et cie en tête, crurent-ils pouvoir se débarrasser du besoin qu’a l’homme des espaces clos, intimes et secrets. Ainsi dans nos nouvelles maisons idéales : « avant, c’était un lieu intime, maintenant on veut de la clarté partout ».
Mais que peut bien signifier ce refus de l’intime et des espaces clos ? Cette dissolution de l’espace intérieur, ou sa projection vers l’extérieur, signifierait-t-elle un refus de l’inconscient, un refus des espaces qui symboliseraient une intériorité utérine et protectrice ? Un refus de l’irrationnel, du caché, du secret, toutes choses pourtant nécessaires à la psyché humaine ? Cette option serait peut-être viable pour qui serait totalement exempt de tout conflit interne. Mais en sommes-nous vraiment là ? Il me semble plutôt voir là l’apparition d’individus aveuglément soumis à la rationalité despotique imposée par nos architectes, urbanistes et décorateurs d’intérieur contemporains, et qui viennent habiter des maisons où l’espace intérieur a été profondément violenté et tourné de force vers l’extérieur. Et « la chose peut être inacceptable en raison de la présence de résistances et de censures.[3] » Attention donc au retour du refoulé !
Car cette conception de l’habitat, en forçant le regard vers l’extérieur, en forçant l’habitant à disparaître au profit du décor ambiant, le force à s’oublier lui-même. De même l’usage d’une palette de différents gris, « ...couleur qui sait se faire oublier pour mettre en valeur ce qui l’entoure ».
Architecture qui nie son intériorité et donc qui se nie, ainsi que celle de son usager.
De plus, les diktats de l’écologie et du développement durable n’arrangent pas les choses, qui imposent aux quartiers dits « éco-responsables » des isolations démentielle : des triples vitrages, des systèmes d’aération qui renouvellent l’air sans avoir à ouvrir les fenêtres (non, ce n’est pas une plaisanterie...), et des insonorisations extrêmes qui frisent l’autisme le plus déprimant...

L’écologie, à quel prix ??

Bref, il semble y avoir bien du souci à se faire sur l’avenir de la santé mentale des habitants de nos futurs éco-quartiers et bâtiments classés Minergie...

J’en appellerai pour finir aux toujours salutaires surréalistes, qui « André Breton en tête [...] ont bien senti à quel point le fonctionnalisme se retournait contre son utilisateur et que la transparence n’était pas une facilité pour mieux voir le surréel que le monde contient, mais un renfermement aseptisé, gommant les limites et mêlant l’intérieur à l’extérieur sans l’épreuve alicienne du miroir à traverser...[4] »

Lausanne, mars 2012


[1]Voir par exemple les 24 heures des 1er février et 3-4 mars 2012 , ou encore le catalogue de l’exposition Habitat et Jardin 2012
[2] Gillo Dorfles, « Innen et Aussen en architecture et en psychanalyse », in Nouvelle Revue de Psychanalyse, numéro 9, Printemps 1974, Gallimard, Paris, p. 233 (je souligne)
[3] Idem, p. 237
[4] Thierry Paquot, Un philosophe en ville, infolio éditions, 2011, p. 91

lundi 13 février 2012

L'avenir de Lausanne...

http://www.24heures.ch/vaud-regions/lausanne-region/Spectaculaire-demolition-a-lavenue-de-la-Gare/story/24453177

Ici les mots sont impuissants...

jeudi 9 février 2012

Démolition et crime, suite...

Pour ceux qui me lisent régulièrement, je relaie, en partie, la réponse que me fait Monsieur Philippe Gross suite à l’envoi d’une copie de mon article Démolition et crime et d’un exemplaire de mon petit essai Du Réel à venir.
Après deux paragraphes consacrés aux procédures d’obtention d’un permis de démolition, je me vois signifié :

"... Par contre, je ne peux m'intéresser aux propos de celui qui confond des problèmes matériels, aussi importants soient-ils, avec d'effroyables drames humains comme ceux générés par les auteurs de crime contre l'humanité.
En affirmant dans vos lignes que la démolition de l'immeuble en question relève du crime contre l'humanité, vous avez franchi une limite qui, à mes yeux, décrédibilise tout ce que vous pouvez affirmer par ailleurs.
En conséquence, je vous renvoie votre ouvrage et vous remercie de vous abstenir de toute réponse à la présente."

J'admets mon erreur d'avoir employé, trop légèrement sans doute, cette expression de "crime contre l'humanité", bien que celle-ci relevât essentiellement du ton pamphlétaire du texte, et associée plutôt aux idées du Corbusier et de ses continuateurs. Mais sans doute Monsieur Gross m'a-t-il lu trop rapidement...
Je crois néanmoins que cette erreur lui est prétexte bienvenu pour rejeter en bloc tout mon texte, et éviter de répondre aux griefs que je persiste à croire légitimes, notamment quant à ses affirmations douteuses sur la non-intégration du bâtiment Isoz dans le quartier.
Je constate donc que la seule réponse que l’on me fait consiste à tenter de décrédibiliser l’ensemble de mes propos en n’en relevant qu’une seule occurence, peut-être malheureuse, et, ce faisant, en rejetant allégrement toutes les autres pour éviter de répondre sur le fond...
Je maintiens que cette œuvre de destruction est à prendre comme un symptôme, peut-être isolé aux yeux de certains, mais néanmoins emblème annonciateur des diktats urbanistiques qui peu à peu vont essaimer dans tout Lausanne, si ce n’est déjà le cas, et qu’il s’agit de combattre plus que jamais...

Lausanne, 9 février 2012


Commentaires souhaités et bienvenus...

jeudi 26 janvier 2012

LieFlowers, suite...


Quelques petites précisions que je tenais à apporter aux lignes récemment écrites contre le projet Rosebud.
Il me semble y avoir deux éléments bien distincts dans ce débat : le projet architectural en lui-même, et son intégration à la Cité.
En tant que pourfendeur de l’orthogonalité et de ce que je trouve trop souvent être un manque d’originalité, je tenais à exprimer un avis plutôt favorable quant à son toit atypique à très forte pente, et surtout son asymétrie étonnante !
Ce n’est pas l’architecture du bâtiment que je condamne, mais bien le fait que celle-ci n’a à mon avis absolument aucune place dans un quartier historique. Ce n’est pas aux architectes que je m’en prends ici (pour autant bien sûr que ceux-ci daignent tenir compte de l’environnement qui entoure les projets qu’ils proposent), mais aux décisions des politiciens de permettre à un ouvrage de ce type de s’imposer dans la vieille cité. Au non respect du contexte bâti et des règles du plan général d’affectation, à la soumission absolue aux strictes impératifs d’économie écologiste, et, par dessus tout, dans ce cas précis, au choix des matériaux utilisés pour la toiture.
Je ne reviendrai pas sur ma position quant à la nécessité pour moi évidente de reconstruire le bâtiment à l’identique, mais tenais à nuancer mon jugement sur le projet architectural en lui-même.

Lausanne, le 26 janvier 2012

lundi 23 janvier 2012

LieFlowers

Lors du printemps 2002, le siège du Grand Conseil était dévoré par les flammes d’un incendie criminel aux causes encore obscures.
Face à la destruction d’un important bâtiment néo-classique du tout début du 19ème siècle, l’attitude la plus intelligente et respectueuse eût été de le reconstruire à l’identique. Mais on sait hélas depuis trop longtemps que les instances dirigeantes de Lausanne n’ont que faire du respect du passé et de la conservation de son héritage culturel et architectural.
Aussi cherchèrent-elles de nouveaux projets dignes de leurs aspirations modernistes et déhistoricisantes. Et choisirent-elles le projet Rosebud.
Elles décidèrent ainsi, après avoir volontairement laissé se dégrader définitivement pendant plusieurs mois les quelques restes intouchés par cet incendie, de les remplacer par autre chose[1]. Qui rasera les murs d’origine, éventrera une partie de la Cité, et dénaturera un monument d’importance nationale. La note 1 n’a donc plus aucune valeur. Les terroristes urbains peuvent (dés)œuvrer à leur guise.
Cerise sur l’amer gâteau, les services du canton ont sciemment (consciemment ou non) menti tout au long des derniers mois sur la couleur du toit. Car ils ont allégrement laissé la presse locale présenter aux citoyens des photomontages trompeurs, faisant preuve d’une évidente mauvaise foi calculée, ou d’une aveugle incompétence de communication (à vous de choisir...). A ce sujet, Monsieur Marthaler a fait preuve d’une légèreté crasse.
A nous maintenant de nous battre pour la sauvegarde d’une cité abandonnée par ses dirigeants au profit d’une logique « verte » asservie à des objectifs de stricte économie peccamineuse , sans aucune considération esthétique ou culturelle, et vendue aux tristes défenseurs de l’immobilier capitaliste.



Lausanne, le 23 janvier 2012



[1] Je ne présenterai pas ici toutes les ignominies permises par nos autorités. Voir à ce sujet la très pertinente analyse parue dans Patrimoine Lausannois, Journal d’information destiné aux membres du Mouvement pour la Défense de Lausanne, Bulletin no 60, juillet-octobre 2011