Dans le 24heures du 27
novembre 2012, Monsieur Jörg Schild, président de Swiss Olympic, s’insurge
contre le fait que les critiques faites à la candidature de la Suisse pour les
Jeux Olympiques de 2022 « portent sur des questions d’argent et de béton
et jamais sur des sujets de fond ».
Prenons-en acte, et passons
outre au fait que ce Monsieur évoque plus d’une fois la nécessité d’augmenter
le montant attribué au sport par la loterie et l’Office fédéral du sport, et
qu’il se plaigne de moins recevoir d’argent que la culture et le social. Ne
suivons pas son exemple donc, et ne parlons pas d’argent.
Ne parlons pas de béton
non plus, puisqu’il nous le demande, encore que je discerne mal en quoi cette
question ne relèverait pas d’un sujet de fond, mais bon...
Parlons de sport donc,
et uniquement[1].
Il est évident que
celui-ci a sa place dans notre monde lorsqu’il désigne l’exercice physique, tant
que celui-ci permet l’épanouissement des corps et le développement harmonieux de
l’être humain dans sa totalité : Mens
sana in corpore sano...
Toutefois nous parlons
ici des Jeux Olympiques contemporains.
Ces jeux dont la charte
officielle nous parle de joie dans l’effort, de bon exemple, de compréhension
mutuelle, d’esprit d’amitié, de solidarité et de fair-play... Toutes choses qui
volent allégrement en éclat lorsque l’on se penche, par exemple, sur ce qui se
passe sur, et autour d’un terrain de foot, où se re-jouent alors de façon
microcosmique toutes les haines, toutes les médiocrités et les infamies de l’humanité.
Ces jeux qui prônent l’esprit de compétition en voulant nous faire croire que
celui-ci est possible dans le respect de l’adversaire. Ces jeux qui osent
encore nous dire que l’esprit olympique peut aider à la paix dans le monde et à
l’édification d’un monde meilleur ! Très joli idéal, qu’un bisounours
pourrait vanter sur un terrain de basket imaginaire, ou qu’à l’inverse des
propriétaires sans scrupules de clubs sportifs d’envergure internationale
invoquent de façon totalement hypocrite, mais dont je me demande quelle
personne sensée il peut encore tromper.
Car nous parlons ici de
sport-spectacle, et de tout ce qu’il
implique. A ce sujet, la lecture d’un ouvrage, récemment paru, de Robert Redeker,
intitulé L’emprise sportive[2], peut se révéler éclairante, voire
édifiante
La thèse principale de
cet ouvrage est la suivante : contrairement à ce souvent l’on veut nous
faire croire, à savoir que le sport serait un simple exutoire ou une pratique
cathartique, « il n’est pas un reflet – selon la croyance d’une plate et
paresseuse sociologie, le football refléterait la société, pour le meilleur et
pour le pire – mais l’inverse : le sport structure la société, la modèle,
la contraint à lui ressembler. » Il s’avère en fait que le sport nous
impose, à tort ou à raison, l’idée que la compétition est la première condition
du progrès, et que toute existence doit se mesurer à l’aune de la performance
et de l’évaluation chiffrée. Son idéologie est d’autant plus insidieuse qu’elle
est rarement explicitement exprimée, sauf peut-être dans la perverse devise
olympique (plus vite, plus haut, plus fort), devenue l’hymne de l’homme moderne.
On ferait bien de s’interroger sur les dommages collatéraux et les ravages
psycho-sociaux d’une telle devise...
Et que les instances
dirigeantes ne s’y trompent pas. Qu’elles ne croient pas mettre le sport au
service de leur Cité, car ce sport « est tout autre chose qu’un outil ou
qu’un moyen qui ne modifierait pas qui compte s’en servir ; il est un
système total, une machinerie planétaire qui transforme profondément aussi bien
les hommes que le rapport des hommes au monde. [...] Il ne peut en aucun cas
être repris comme instrument de libération sociale. Le sport n’est pas
ambigu : il est le catéchisme hard
du capitalisme, de la guerre de chacun contre chacun et de la loi du plus
fort. » N’apportant aucun message d’espoir, voué au culte de l’homme-loup,
de l’homme gagnant, conformiste et consommateur.
Est-ce ce culte auquel
Monsieur Jörg Schild veut que les Suisses se vouent ? Selon lui, « il
est important que notre pays se rassemble autour d’un projet d’envergure et
redore [son] blason ». Que la Suisse redore son blason, très bien !
Mais pas aux couleurs des grandes marques qui sponsorisent les Jeux, ni en
faisant serment d’allégeance aux valeurs perverses de l’Olympisme
contemporain !
Car il y va de la
survie de tout ce qui résiste au sport-spectacle, et la poésie avant tout.
Hölderlin disait que l’homme habite en poète sur cette Terre. Il me
chagrinerait qu’il n’y habitât plus qu’en supporter sportif...
Décembre 2012
[1] Je reprends ici des arguments déjà
exposés dans un billet daté de juillet 2012 et consacré au projet Métamorphose à Lausanne.
[2] Robert Redeker, L’emprise sportive, François Bourin Editeur, Paris, 2012
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