vendredi 25 avril 2014

Compétition ou émulation?

Pour une autre place accordée au sport dans l'enseignement, afin d'aider à construire la non-violence...


Je relisais cette après-midi une interview d'Albert Jacquard, où il s'exprimait sur la nécessité de privilégier l'émulation à la compétition, au sujet de laquelle il nous disait que « l'idée selon laquelle, dans chaque secteur, chaque discipline, il faut qu'il y ait un premier, un deuxième et un troisième est une aberration. La compétition, c'est la volonté d'être meilleur qu'autrui, de le dépasser. Quitte à tout faire pour le détruire. Dans le domaine du sport, la compétition engendre le dopage, les pots-de-vin. Elle transforme des êtres humains en une nouvelle espèce, intermédiaire entre les humains et les monstres.1 » (Les nouveaux surhommes, produits d'un nouvel eugénisme......). Ce sport compétitif, ancré dans l'évaluation chiffrée, triste rejeton du sport-spectacle qui façonne le monde moderne, est aujourd'hui au coeur de l'enseignement des disciplines sportives à l'école (car ce sont bien football, basketball, handball, hockey et que sais-je encore, qui occupent la première place). Le sport n'a plus le rôle enviable qu'avait la gymnastique dans la Grèce ancienne, où elle enseignait la mesure et permettait à un corps bien développé de devenir semblable à un instrument qui joue juste. Là où « l'athlète grec se devait d'accomplir jusqu'à la perfection la mesure commune, le sportif moderne se doit de briser celle-ci par la traversée de la démesure.2 »
En outre, la pire hypocrisie consiste à faire croire que ce genre de sports favorise l'esprit d'équipe. Certes chaque équipe apprend à travailler et à oeuvrer ensemble, en collaborant, favorisant ainsi une certaine émulation... Mais dans quel but ? Si cette émulation était une fin en soi, rien à redire ! Mais l'essence même de ces sports consiste à travailler, ensemble, contre les autres. A les empêcher de marquer, à les stopper, les freiner, à contrecarrer leur propre jeu : c'est bien le conflit qui est au coeur de tous ces sports, l'altercation, la confrontation, l'empêchement.
J'ai vu une publicité l'autre jour pour je ne sais plus quelle équipe de je ne sais plus quel sport : elle nous montrait une foule entière, subjuguée par nombre de sentiments, vibrer à l'unisson pour une équipe quelconque, mettait en avant les émotions ressenties par chacun de ses participants, en accord avec le groupe qui les entourait.... Très beau spectacle, et très beau sentiment, que moi aussi j'ai ressenti plusieurs fois lors de certains concerts ou spectacles notamment. A la différence près que, pendant ces spectacles, la foule dont je m'imprégnais et où je m'oubliais, les sentiments et émotions que je partageais étaient tous dirigés vers le même centre : la musique, ou le spectacle dont tous nous jouissions ensemble, alors que lors d'un match quelconque, à chaque fois la foule est clivée en deux parties adverses, et que la jouissance commune d'un groupe ne peut se faire qu'aux dépens de l'autre : « Je ne peux jouir que si toi tu souffres ». Est-ce là ce que nous voulons enseigner ?


A ce propos je me rappelle un passage de Les enfants de Darwin, ouvrage de Greg Bear, suite de L'Echelle de Darwin, et qui met en scène des enfants mutants, annonciateurs d'une espèce qui peut-être remplacera l'homo sapiens sapiens, redoutés et persécutés parce que différents. De quel homme futur voulons-nous, de l'athltète cyborg qui n'hésitera pas à échanger pour gagner une course son insignifiant mollet de chair contre une prothèse hyper-performante, ou une innocente mais si belle créature qui verserait une larme à l'idée de se battre contre son semblable ? Idéalisme niaiseux peut-être, mais je le fais mien... Je vous laisse avec Greg Bear :


« - Tu es censée tenter de la stopper, dit Miss Kinney à cette dernière.

  • Je n'ai rien fait pour l'aider, répliqua-t-elle en lançant un regard navré à Stella.
  • Non, tu dois agir pour la stopper.
  • Mais ce serait de l'antijeu ! protesta Celia.
  • Seulement si tu la frappais, si tu la poussais ou si tu lui rentrais dedans.
  • Nous voulons tous faire des paniers et nous amuser, d'accord ? Si je l'empêche de marquer, ça réduira le nombre de paniers, d'accord ?
  • Le but du jeu, c'est que ton équipe marque le plus de points possible et que les adversaires n'en marquent aucun.  Celia se lassait d'argumenter. Des larmes perlèrent à ses paupières.
  • Je croyais qu'on devait marquer le plus de points possible.
  • Pour ton équipe, insista Miss Kinney. Pourquoi vous refusez de comprendre ça ?
  • Ça nous fait de la peine de faire échouer les autres, dit Stella, fouillant la salle du regard comme en quête d'une issue de secours.
  • Enfin, Stella, ce n'est qu'un jeu ! Vous jouez les unes contre les autres. On appelle ça du sport. Ça ne vous empêche pas de rester amies après la partie. Il n'y a aucun mal à cela.
  • J'ai vu des émeutes de supporters à la télé, dit LaShawna.
  • Il y a eu des blessés, ajouta LaShawna d'une voix hésitante.
  • Le sport déclenche les passions, reconnut Miss Kinney. Les gens prennent ça à coeur, mais, en règle générale, les joueurs ne s'agressent pas entre eux.
  • J'en ai vu qui se rentraient dedans et qui restaient à terre. On aurait dû leur dire qu'ils risaient la collision, dit Crystal Newman, qui avait des cheveux argentés et une odeur de citronnier. (...)
  • J'ai l'impression qu'il y a quelque chose qui m'échappe, déclara-t-elle. Stella, comment aimerais-tu jouer ? (...)
  • A chaque phase de la partie, deux filles échangeraient leurs places pour que tout le monde ait sa chance. Je suis sûre qu'en deux heures d'entraînement on deviendrait toutes capables de marquer plein de paniers, et si on additionnait tous les points, chaque équipe en aurait plus que si elles s'étaient affrontées. (Stella se concentra quelques instants, puis son visage rayonna.) Peut-être mille points ou plus !
  • Personne n'aurait envie de voir ça, déclara Miss Kinney. »

Peu de monde aujourd'hui, effectivement.... Et c'est là tout le problème...


Greg Bear, Les enfants de Darwin, Robert Laffont, Paris, 2003, pp. 213-214


1Il ajoute que « dans le domaine économique, elle génère les escroqueries, les actions malveillantes ou agressives entre sociétés concurrentes... Je suis absolument contre la compétition. »

2Robert Redeker, L'emprise sportive, François Bourin Editeur, Paris, 2012, p. 157.

mercredi 16 avril 2014

Du renouveau à Lausanne...

Petite promenade à l'Avenue de la Gare... me reviennent à l'esprit les propos du directeur immobilier d'Edipresse quant à la démolition de l'immeuble de Francis Isoz, qui selon lui ne s'intégrait pas dans le quartier... A quoi ressemble ce quartier justement?


Juste à côté de la tour Edipresse, l'hôtel Mirabeau (1911). 
Un peu plus bas:


Et juste en face:

 Alors oui, je me demande toujours qui est l'intrus, et qui ne s'intègre pas à l'environnement déjà bâti....

Et toujours encore à propos de l'urbanisme à Lausanne, je lis que Monsieur Français, municipal en charge des travaux, après le refus en votation de la tour Taoua, nous déclare que "les Lausannois ont un problème avec les tours, pourtant des constructions comme le CHUV ou Valmont en sont aussi". Remarquant en passant que le CHUV et Valmont sont loin, très loin, d'être des réussites, et qu'il n'y a vraiment pas de quoi en être fier,  je pense aussi que nombre de Lausannois en ont assez d'une politique urbaine qui permet de passer de ceci:



A cela:



Mesdames et messieurs de la municipalité, tirez-en les conclusions qui s'imposent! Nombre de Lausannois ne veulent pas que leur cité soit défigurée et détruite peu à peu au nom d'un encouragement aveugle et débile à une croissance à tout va! Ils ne veulent pas non plus des diktats d'une architecture contemporaine qui renie le passé et ne nous offre plus que des boîtes de verre, de métal et de béton (n'avez-vous rien appris du refus du musée des Beaux-Arts à Bellerive?? Apparemment pas vu le projet présenté pour votre prétentieux "pôle muséal"). Renoncez donc à vos projets de gloriole personnelle!
Monsieur Brélaz, relisez votre collection d'ouvrages de science-fiction, et tirez-en les conclusions qui s'imposent, laissez tomber les chiffres et relisez les poètes!
Architectes, refaites le voyage d'Italie, et inspirez-vous en!!

Mon appel est utopique sans doute, irréaliste et digne d'un doux rêveur, mais peu m'importe !Faisons fi du fonctionnalisme mortifère, de l'utilitarisme et du rationalisme!! Nous sommes tellement à demander du rêve, de l'imagination, des délires, des courbes et un peu de folie baroque...