vendredi 20 juillet 2012

Du rejet de la circoncision




La circoncision est le substitut symbolique de la castration que le père primitif et omnipotent avait jadis infligée à ses fils. Quiconque acceptait ce symbole montrait par là qu’il était prêt à se soumettre à la volonté paternelle, même si cela devait lui imposer le plus douloureux des sacrifices.

Sigmund Freud


La décision des juges de Cologne de remettre en cause la pratique de la circoncision pour motifs religieux soulève nombre de questions fondamentales, qu’elles soient d’ordre anthropologique, religieux, idéologique, pénal, etc.
Cette décision provoque bien évidemment l’ire des grands mouvements religieux concernés, qui invoquent le droit à la liberté de croyance, et insistent sur l’importance de cette pratique en regard des lois fondamentales qui leur sont prescrites par leur dieu et leurs textes sacrés.
Si ces croyants acceptent que de telles lois gouvernent leur âme et leur corps, grand bien leur fasse. Mais il est clair que de les imposer à d’autres, en l’occurrence aux nouveau-nés mâles, ne relève plus d’une liberté de croyance individuelle. Laissons donc aux mâles le choix de se faire volontairement mutiler lorsqu’ils auront atteint un âge suffisamment décent pour ce genre de décision. Car il s’agit bien d’une mutilation génitale, d’une amputation barbare et irréversible, d’une blessure infligée sans impératif médical à un tout jeune enfant et qui, de ce fait, devrait effectivement relever du droit pénal. Et si cette pratique se justifie selon eux car dictée par une loi divine (la circoncision étant établissement d’un pacte d’allégeance entre l’homme et son dieu), il serait bon de leur rappeler que, jusqu’à preuve du contraire, nous ne vivons pas dans un régime théocratique, et qu’il n’y a aucune raison que ces lois prévalent sur celles du code pénal.
En outre, au-delà de ces considérations strictement factuelles, il est fort intéressant de s’interroger, dans une optique plus psychanalytique, sur les raisons symboliques de ceux qui, même non-croyants, s’insurgent contre la décision allemande.
La circoncision institue un lien avec la transcendance, mais en refoulant en l’homme tout signe féminin[1]. Elle détache le garçon de sa mère et, en l’introduisant dans la communauté des hommes, renforce sa masculinité. Ainsi refuser la circoncision reviendrait à s’insurger tout d’abord contre un mode de domination de type patriarcal, mais surtout contre « tout renoncement, pour tout être humain, au jeu bisexuel, sacrilège car il serait rivalité fantasmatique avec Dieu, volonté d’empiétement sur son être[2] », relevant d'une mystique, aspiration ou nostalgie androgyne. Plus simplement, ce serait refuser toute partition exclusive des rôles sexuels. On sent poindre ici les discours misogynes et homophobes,...
Refuser la circoncision (tout comme le refus des lois cérémonielles de la Thora ou du Coran, ainsi que des lois alimentaires) serait une révolte contre le signe de la soumission de l’homme à Dieu, un abandon du monothéisme pour le paganisme.
Tout ceci n'étant bien sûr qu'une ébauche sommaire d'interprétation, mais qu'il serait passionnant de mener plus avant.
On comprend toutefois déjà aisément pourquoi les religions monothéistes, forcément exclusives et intolérantes, mais aussi tous ceux qu’une telle remise en question des rapports entre masculin et féminin au sein de l’individu dérange se sentent si offusqués et menacés...


Lausanne, juillet 2012


[1] « Nunberg a établi le fait que la circoncision peut avoir le sens de la perte de la mère, et a examiné plus en détail la signification du prépuce comme symbolisant le vagin, le rectum et la féminité ». Masud/Khan, « Le fétichisme comme négation du soi », in Nouvelle revue de psychanalyse numéro 2, automne 1970
[2] Roger Lewinter, « Groddeck : (anti)judaïsme et bisexualité », in Nouvelle revue de psychanalyse numéro 7, printemps 1973

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