La
circoncision est le substitut symbolique de la castration que le père primitif
et omnipotent avait jadis infligée à ses fils. Quiconque acceptait ce symbole
montrait par là qu’il était prêt à se soumettre à la volonté paternelle, même
si cela devait lui imposer le plus douloureux des sacrifices.
Sigmund Freud
La décision des juges
de Cologne de remettre en cause la pratique de la circoncision pour motifs
religieux soulève nombre de questions fondamentales, qu’elles soient d’ordre
anthropologique, religieux, idéologique, pénal, etc.
Cette décision provoque
bien évidemment l’ire des grands mouvements religieux concernés, qui invoquent
le droit à la liberté de croyance, et insistent sur l’importance de cette
pratique en regard des lois fondamentales qui leur sont prescrites par leur
dieu et leurs textes sacrés.
Si ces croyants acceptent
que de telles lois gouvernent leur âme et leur corps, grand bien leur fasse.
Mais il est clair que de les imposer à d’autres, en l’occurrence aux nouveau-nés
mâles, ne relève plus d’une liberté de croyance individuelle. Laissons donc aux
mâles le choix de se faire volontairement mutiler lorsqu’ils auront atteint un
âge suffisamment décent pour ce genre de décision. Car il s’agit bien d’une
mutilation génitale, d’une amputation barbare et irréversible, d’une blessure
infligée sans impératif médical à un tout jeune enfant et qui, de ce fait,
devrait effectivement relever du droit pénal. Et si cette pratique se justifie
selon eux car dictée par une loi divine (la circoncision étant établissement d’un
pacte d’allégeance entre l’homme et son dieu), il serait bon de leur rappeler
que, jusqu’à preuve du contraire, nous ne vivons pas dans un régime
théocratique, et qu’il n’y a aucune raison que ces lois prévalent sur celles du
code pénal.
En outre, au-delà de ces considérations strictement factuelles, il est fort intéressant de s’interroger, dans une optique plus psychanalytique, sur les raisons symboliques de ceux
qui, même non-croyants, s’insurgent contre la décision allemande.
La circoncision institue
un lien avec la transcendance, mais en refoulant en l’homme tout signe féminin[1].
Elle détache le garçon de sa mère et, en l’introduisant dans la communauté des
hommes, renforce sa masculinité. Ainsi refuser la circoncision reviendrait à s’insurger
tout d’abord contre un mode de domination de type patriarcal, mais surtout
contre « tout renoncement, pour tout être humain, au jeu bisexuel,
sacrilège car il serait rivalité fantasmatique avec Dieu, volonté d’empiétement
sur son être[2] », relevant d'une mystique, aspiration ou nostalgie androgyne. Plus
simplement, ce serait refuser toute partition exclusive des rôles sexuels. On sent
poindre ici les discours misogynes et homophobes,...
Refuser la circoncision
(tout comme le refus des lois cérémonielles de la Thora ou du Coran, ainsi que
des lois alimentaires) serait une révolte contre le signe de la soumission de l’homme
à Dieu, un abandon du monothéisme pour le paganisme.
Tout ceci n'étant bien sûr qu'une ébauche sommaire d'interprétation, mais qu'il serait passionnant de mener plus avant.
Tout ceci n'étant bien sûr qu'une ébauche sommaire d'interprétation, mais qu'il serait passionnant de mener plus avant.
On comprend toutefois déjà aisément
pourquoi les religions monothéistes, forcément exclusives et intolérantes, mais
aussi tous ceux qu’une telle remise en question des rapports entre masculin et
féminin au sein de l’individu dérange se sentent si offusqués et menacés...
Lausanne, juillet
2012
[1]
« Nunberg a établi le fait
que la circoncision peut avoir le sens de la perte de la mère, et a examiné
plus en détail la signification du prépuce comme symbolisant le vagin, le
rectum et la féminité ». Masud/Khan, « Le fétichisme comme négation
du soi », in Nouvelle revue de
psychanalyse numéro 2, automne 1970
[2]
Roger Lewinter, « Groddeck :
(anti)judaïsme et bisexualité », in Nouvelle
revue de psychanalyse numéro 7, printemps 1973
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