Lausanne vit à l’heure
du projet Métamorphose. Les autorités
lausannoises estiment que le développement de la ville doit se faire à travers
quatre axes principaux, dont le premier, du moins selon l’ordre de présentation
qui nous est proposé, est une « redistribution des équipements sportifs.
Le projet dotera la ville d’équipements sportifs modernes, avec, au nord, un
stade d’athlétisme, une salle sport-spectacle, un centre sportif et, au sud, un
complexe sportif regroupant stade de football, piscine olympique et boulodrome.
Toutes les installations, et en particulier la salle sport-spectacle et la
piscine, ont une forte vocation populaire. »
On peut facilement
comprendre ce qui motive ce projet : l’immense engouement populaire pour
les grandes manifestations sportives, l’afflux de capitaux drainés par les fédérations
sportives internationales, CIO en tête... Mais peut-être serait-il bon de
s’interroger sur les implications d’une telle option urbanistique. Pour ce
faire, la lecture d’un ouvrage, récemment paru, de Robert Redeker, intitulé L’emprise sportive[1], sera
éclairante, voire édifiante.
La thèse principale de cet
ouvrage est la suivante : contrairement à ce que souvent l’on veut nous faire
croire, à savoir que le sport serait un simple exutoire ou une pratique
cathartique, « il n’est pas un reflet – selon la croyance d’une plate et
paresseuse sociologie, le football refléterait la société, pour le meilleur et
pour le pire – mais l’inverse : le sport structure la société, la modèle,
la contraint à lui ressembler. » Il s’avère en fait que le sport nous
impose, à tort ou à raison, l’idée que la compétition est la première condition
du progrès, et que toute existence doit se mesurer à l’aune de la performance
et de l’évaluation chiffrée. Son idéologie est d’autant plus insidieuse qu’elle
est rarement explicitement exprimée, sauf peut-être dans la perverse devise olympique
(plus vite, plus haut, plus fort[2]),
devenue l’hymne de l’homme moderne.
Et que les instances
dirigeantes ne s’y trompent pas. Qu’elles ne croient pas mettre le sport au
service de leur Cité, car ce sport « est tout autre chose qu’un outil ou
qu’un moyen qui ne modifierait pas qui compte s’en servir ; il est un
système total, une machinerie planétaire qui transforme profondément aussi bien
les hommes que le rapport des hommes au monde. [...] Il ne peut en aucun cas
être repris comme instrument de libération sociale. Le sport n’est pas
ambigu : il est le catéchisme hard
du capitalisme, de la guerre de chacun contre chacun et de la loi du plus
fort. » N’apportant aucun message d’espoir, voué au culte de l’homme-loup,
de l’homme gagnant, conformiste et consommateur.
En accordant une place si
importante au sport dans le développement de la cité, nos autorité font de
Lausanne, inconsciemment peut-être, un bastion de cette idéologie perverse. Il
serait salutaire qu’elles se consacrent à mettre en avant une Lausanne
culturelle, non de cette culture de masse imbécile incarnée, par exemple, dans
les débordements sonores liés aux mondiaux et autres matchs de l’Euro, mais une
Lausanne qui mise avant tout (là est
l’essentiel) sur les théâtres, l’opéra, le Ballet Béjart, l’OCL, que sais-je
encore...
Car il y va de la survie de
tout ce qui résiste au sport-spectacle, et la poésie avant tout. Hölderlin disait que l’homme
habite en poète sur cette Terre. Il me chagrinerait qu’il n’y habitât plus
qu’en supporter...
Juillet 2012
[1] Robert Redeker, L’emprise sportive, François Bourin Editeur, Paris, 2012
[2] Lausanne, qui se targue d’être une
ville olympique, ferait bien de s’interroger sur les dommages collatéraux et
les ravages psycho-sociaux d’une telle devise...
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