dimanche 1 juillet 2012

Panem et circenses


Lausanne vit à l’heure du projet Métamorphose. Les autorités lausannoises estiment que le développement de la ville doit se faire à travers quatre axes principaux, dont le premier, du moins selon l’ordre de présentation qui nous est proposé, est une « redistribution des équipements sportifs. Le projet dotera la ville d’équipements sportifs modernes, avec, au nord, un stade d’athlétisme, une salle sport-spectacle, un centre sportif et, au sud, un complexe sportif regroupant stade de football, piscine olympique et boulodrome. Toutes les installations, et en particulier la salle sport-spectacle et la piscine, ont une forte vocation populaire. »
On peut facilement comprendre ce qui motive ce projet : l’immense engouement populaire pour les grandes manifestations sportives, l’afflux de capitaux drainés par les fédérations sportives internationales, CIO en tête... Mais peut-être serait-il bon de s’interroger sur les implications d’une telle option urbanistique. Pour ce faire, la lecture d’un ouvrage, récemment paru, de Robert Redeker, intitulé L’emprise sportive[1], sera éclairante, voire édifiante.
La thèse principale de cet ouvrage est la suivante : contrairement à ce que souvent l’on veut nous faire croire, à savoir que le sport serait un simple exutoire ou une pratique cathartique, « il n’est pas un reflet – selon la croyance d’une plate et paresseuse sociologie, le football refléterait la société, pour le meilleur et pour le pire – mais l’inverse : le sport structure la société, la modèle, la contraint à lui ressembler. » Il s’avère en fait que le sport nous impose, à tort ou à raison, l’idée que la compétition est la première condition du progrès, et que toute existence doit se mesurer à l’aune de la performance et de l’évaluation chiffrée. Son idéologie est d’autant plus insidieuse qu’elle est rarement explicitement exprimée, sauf peut-être dans la perverse devise olympique (plus vite, plus haut, plus fort[2]), devenue l’hymne de l’homme moderne.
Et que les instances dirigeantes ne s’y trompent pas. Qu’elles ne croient pas mettre le sport au service de leur Cité, car ce sport « est tout autre chose qu’un outil ou qu’un moyen qui ne modifierait pas qui compte s’en servir ; il est un système total, une machinerie planétaire qui transforme profondément aussi bien les hommes que le rapport des hommes au monde. [...] Il ne peut en aucun cas être repris comme instrument de libération sociale. Le sport n’est pas ambigu : il est le catéchisme hard du capitalisme, de la guerre de chacun contre chacun et de la loi du plus fort. » N’apportant aucun message d’espoir, voué au culte de l’homme-loup, de l’homme gagnant, conformiste et consommateur.
En accordant une place si importante au sport dans le développement de la cité, nos autorité font de Lausanne, inconsciemment peut-être, un bastion de cette idéologie perverse. Il serait salutaire qu’elles se consacrent à mettre en avant une Lausanne culturelle, non de cette culture de masse imbécile incarnée, par exemple, dans les débordements sonores liés aux mondiaux et autres matchs de l’Euro, mais une Lausanne qui mise avant tout (là est l’essentiel) sur les théâtres, l’opéra, le Ballet Béjart, l’OCL, que sais-je encore...
Car il y va de la survie de tout ce qui résiste au sport-spectacle, et la poésie avant tout. Hölderlin disait que l’homme habite en poète sur cette Terre. Il me chagrinerait qu’il n’y habitât plus qu’en supporter...

Juillet 2012




[1] Robert Redeker, L’emprise sportive, François Bourin Editeur, Paris, 2012
[2] Lausanne, qui se targue d’être une ville olympique, ferait bien de s’interroger sur les dommages collatéraux et les ravages psycho-sociaux d’une telle devise...

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