Le site officiel de la ville consacré à la "Métamorphose" de Lausanne met en avant, entre autres, une dite "démarche participative", qui affirme vouloir tenir compte de la volonté des citadins dans l'élaboration du projet. Une ingénieuse opération de communication fut mise sur pied le printemps dernier, avec exposition de la maquette du projet (pour faire croire à une volonté de transparence sur le déroulement du processus) et demande faite aux visiteurs d'exprimer leurs avis, remarques et doléances (la fameuse "démarche participative"). Nous apprenons le résultat de cette démarche dans le 24Heures du 24-25-26 décembre 2013: "La Municipalité a intégré ces remarques dans son travail. Si elle y apporte des explications, elles n'ont pas donné lieu à des modifications des plans, comme le confirme Pierre Imhof, chef du projet Métamorphose." Une participation citoyenne qu'on rend donc totalement passive, inutile et sans aucun effet, privant ainsi de tout son sens cette fameuse démarche.
Et fidèle à elle-même (ici il faut porter à son crédit une absolue cohérence dans sa politique de démolitions), la Municipalité réaffirme son intention de démolir le stade de la Pontaise même si "elle ne conteste pas la valeur patrimoniale du stade": comme dans trop d'autres affaires, la Municipalité à chaque fois admet la valeur patrimoniale, historique, architecturale, esthétique, que sais-je encore?, des objets à détruire, mais n'en tient aucunement compte dans ses décisions.
Toute l'arrogance et la mauvaise foi de cette politique me semblent ici parfaitement résumées dans ces déclarations...
jeudi 26 décembre 2013
mercredi 4 décembre 2013
Fondamentalisme géométrique, suite...
"In the end, neither Le Corbusier's architecture nor his urbanism bear any relation to Classical solutions. The buildings Le Corbusier fostered might as well have been razor blades, slicing the world to shreds. Though many critics have attacked them as ugly, their fundamental fault is not an aesthetic poverty so much as a structural poverty: a lack of organized complexity, a toxic disconnectedness. Our civilization's task of replacing its architecture and urbanism of disconnectedness with a newly adaptive architecture of connectivity cannot even begin before Le Corbusier's pervasive influence ceases.
There are those who argue that contemporary architecture and urban planning have sinced moved on to new - and even more horrific - typologies. In fact, Le Corbusier's legacy, and that of other early modernists, is everywhere still today. Architectural academia deified him, and continues to present him to impressionable architecture students as a supreme role model: an architectural legend. His ideas have spread into our society's collective mind, distorting and confusing the message of Classical architecture. He bears the responsability of initiating an inhuman approach to the built environment, where adaptation and responsiveness are unneccesary, even contemptible. That provided the fertile ground for present-day architectural and urban insanities."
Nikos Salingaros, "A Theory of architecture", pp. 184-185
There are those who argue that contemporary architecture and urban planning have sinced moved on to new - and even more horrific - typologies. In fact, Le Corbusier's legacy, and that of other early modernists, is everywhere still today. Architectural academia deified him, and continues to present him to impressionable architecture students as a supreme role model: an architectural legend. His ideas have spread into our society's collective mind, distorting and confusing the message of Classical architecture. He bears the responsability of initiating an inhuman approach to the built environment, where adaptation and responsiveness are unneccesary, even contemptible. That provided the fertile ground for present-day architectural and urban insanities."
Nikos Salingaros, "A Theory of architecture", pp. 184-185
jeudi 14 novembre 2013
Glorification du vide...
Le 24heures d'aujourd'hui nous apprend que la revue d'architecture et de design zurichoise a consacré Lausanne "ville la plus dynamique de Suisse romande". Et que voit-on comme illustrations retenues dans le quotidien? Entre autres, une photo d'une partie du nouveau quartier du Rôtillon, un des plus flagrants ratés urbanistiques de Lausanne, aux façades lisses et vides, aux grandes baies vitrées obscènes à force d'être si nues; une photo du Quartier de l'innovation de l'EPFL, bâtiments emblématiques, aux formes simplistes, couleurs fades et fenêtres distribuées de façon quasi aléatoires, dans la droite (!) ligne héritée du refus du Corbusier d'aligner des éléments structurels de façon harmonieuse, emblématiques du refus de l'architecture moderne de tenir compte de l'importance des connexions intimes qui existent entre les différentes échelles et de la complexité des répétitions d'ordre fractal qui organisent les façades des bâtiments antérieurs au séisme esthétique subi depuis le premier quart du vingtième siècle; et sans compter encore la halte CFF de Prilly-Malley, qui n'offre que surfaces lisses, vides, sans aucune décoration et qui obéissent à la dictature des formes géométriques simplistes considérées comme la panacée de toute construction à venir.
Et c'est là qu'est le dynamisme de Lausanne? Son allégeance aveugle à une esthétique moderniste sourde à tout héritage passé et toute faite de nihilisme, et la joie de Messieurs Daniel Brélaz et Olivier Français?
Et que dire encore du parti-pris du photographe de présenter des vues "déshumanisées" de la ville? "Elles font plus de bruit que si elles étaient pleines, laissent une grande liberté d'interprétation": l'abstraction et l'idéalisme aveugle se font rois, les choses et les êtres disparaissent derrière les délires mégalomaniaques des architectes et de leurs ouailles....
Triste, triste nouvelle...
Et c'est là qu'est le dynamisme de Lausanne? Son allégeance aveugle à une esthétique moderniste sourde à tout héritage passé et toute faite de nihilisme, et la joie de Messieurs Daniel Brélaz et Olivier Français?
Et que dire encore du parti-pris du photographe de présenter des vues "déshumanisées" de la ville? "Elles font plus de bruit que si elles étaient pleines, laissent une grande liberté d'interprétation": l'abstraction et l'idéalisme aveugle se font rois, les choses et les êtres disparaissent derrière les délires mégalomaniaques des architectes et de leurs ouailles....
Triste, triste nouvelle...
mercredi 23 octobre 2013
Guerre aux démolisseurs!
"Il faut arrêter le marteau qui mutile la face du pays. Une loi suffirait; qu'on la fasse: Quels que soient les droits de la propriété, la destruction d'un édifice historique et monumental ne doit pas être permise à ces ignobles spéculateurs que leur intérêt aveugle sur leur honneur; misérables hommes, et si imbéciles, qu'ils ne comprennent même pas qu'ils sont des barbares! Il y a deux choses dans un édifice: son usage et sa beauté. Son usage appartient au propriétaire, sa beauté à tout le monde; c'est donc dépasser son droit que le détruire."
Victor Hugo, 1825
Victor Hugo, 1825
dimanche 13 octobre 2013
Parution de "L'Arrache-rêves"
J'en parle ici car il y est question d'architecture, tout de même, les illustrations étant signées par Ian Green, architecte anglais, et le texte né sous la plume de votre serviteur, et mettant en scène, entre autres, des enfants plus que névrosés...
Parution hier, donc, de "L'Arrache-rêves", nouvelle fantastique, aux Editions Limitées à Lausanne, et en vente dès ces jours prochains en librairie...
Parution hier, donc, de "L'Arrache-rêves", nouvelle fantastique, aux Editions Limitées à Lausanne, et en vente dès ces jours prochains en librairie...
mercredi 31 juillet 2013
Fantômes sémiotiques... Suite...
Je tombe aujourd'hui sur une publicité pour des appartements de standing en vente par chez nous:
Et je me souviens des Petits hommes, de Seron (Alerte à Eslapion, éd. Dupuis, 1986, pour cette illustration, mais série apparue pour la première fois presque vingt ans plus tôt dans le Journal de Spirou) :
Alors, Seron visionnaire, ou fantômes sémiotiques, tels qu'évoqués précédemment sur ce blog, à l'oeuvre?La fiction était-elle un souvenir du futur, ou le réel imite-t-il cette fiction? Doit-on se réjouir de pouvoir enfin vivre dans des bâtiments qui appartenaient il y a peu au domaine de la SF, ou doit-on s'en inquiéter? La question est ouverte...
Et je me souviens des Petits hommes, de Seron (Alerte à Eslapion, éd. Dupuis, 1986, pour cette illustration, mais série apparue pour la première fois presque vingt ans plus tôt dans le Journal de Spirou) :
Alors, Seron visionnaire, ou fantômes sémiotiques, tels qu'évoqués précédemment sur ce blog, à l'oeuvre?La fiction était-elle un souvenir du futur, ou le réel imite-t-il cette fiction? Doit-on se réjouir de pouvoir enfin vivre dans des bâtiments qui appartenaient il y a peu au domaine de la SF, ou doit-on s'en inquiéter? La question est ouverte...
mercredi 17 juillet 2013
Violence de l'architecture contemporaine: Tschumi et cie...
J'ai
évoqué ici à plusieurs reprises la violence fondamentale à
l’œuvre dans l'architecture contemporaine, son intransigeance et
sa radicalité. On me l'a reproché, sans toutefois me prouver le
contraire. Je vais y revenir donc, mais en attendant, et en guise
d'amuse-bouche, deux citations piquantes lues il y a peu :
« Je
dirais qu'il y a dans l'art, et dans l'architecture, une recherche de
la limite et un plaisir de la destruction. (...) Cette
recherche de l'essence atteint des limites qui sont de l'ordre des
limites de la perception, et qui sont de l'ordre de l'évacuation du
visible. Ce n'est plus l’œil qui permet de jouir, c'est l'esprit.
Carré blanc sur fond blanc, c'est une forme de limite. » Jean
Nouvel, in Jean Baudrillard Jean Nouvel, Les Objets Singuliers,
arléa, Paris, 2012, p. 46 (je souligne)
Outre le
pervers plaisir sadien (que d'ailleurs Tschumi cite plusieur fois)
érigé en principe moteur de cette nouvelle architecture, que dire
de l'évacuation de la pulsion scopique en faveur des délires
éthérés d'un art purement conceptuel, dont on sait qu'il a mille
fois plus d'intérêt dans la description intellectualisée que l'on
peut en faire que dans sa contemplation ou sa confrontation ?
« Tschumi
confesse dans Architecture and Disjunction (page 210) :
« ...mon propre plaisir n'a jamais fait surface en regardant
des constructions, des chefs d’œuvres de l'histoire ou de
l'architecture actuelle, mais plutôt en les démantelant ».
Ses clients se sont-ils donnés la peine de lire cette déclaration ?
Véhicule-t-elle un sentiment approprié de la part de l'architecte
choisi pour un musée situé en face du Parthénon ? En outre,
est-ce une déclaration d'un architecte d'autorité à laquelle les
étudiants, jeunes et influençables, devraient être exposés ?
Tschumi est ici honnête, on ne peut le blâmer : toute critique
éventuelle doit être adressée aux institutions qui ont commandé
ses œuvres et aidé à la propagation de son message. Peut-être que
notre civilisation a atteint le point où elle s'enthousiasme pour
une architecture qui violente la forme au lieu de l'assembler de
manière cohérente. (...) Les bâtiments déconstructivistes ne font
pas l'effort de se connecter et de s'intégrer à leur environnement,
pour la simple et bonne raison qu'ils souhaitent s'en dégager. »
« La
profession architecturale a validé les livres de Tschumi. Les
architectes continuent de les acheter et de les lire, et les
enseignants les recommandent en cours de théorie architecturale à
l'université. Chacun a le droit d'écrire ce qu'il veut, mais quand
les cercles architecturaux professionnels, les journaux
architecturaux , les plus grandes universités, les éditeurs
respectés des monographies architecturales et les institutions
gouvernementales félicitent un architecte sur la base de tels
écrits, alors le système tout entier est responsable. Quand les
choses vont de travers, le poids de la faute incombe directement à
ces institutions. »
Nikos
Salingaros, Anti-architecture et déconstruction,
Umbau-Verlag, 2009, pp. 160/162
mercredi 3 juillet 2013
Pause estivale...
"Le conformisme anticonformiste est à la mode.
L'avant-garde est devenue le classicisme du XXe siècle.
Toutes les droites se recommandent de gauche. Le Rimbaldisme conserve puissance de dogme. Un homme libre se devait d'accomplir un acte digne de souligner l'étonnante attitude de Raymond RADIGUET, inventant qu'il ne convenait plus de contredire les coutumes, mais l'avant-garde; attitude dont j'ai fait ma règle.
Entrer à l'Académie Française était l'acte anti-intellectuel apte à illustrer cette attitude. Il me fallait ensuite joindre à l'acte une oeuvre. J'ai pensé que la décoration d'une église remplirait à merveille cet office.
Il s'agissait d'accomplir l'acte révolutionnaire par excellence, et de tourner le dos au poncif révolutionnaire devenu dogme.
(...)
Pendant cinq mois j'ai vécu dans la petite nef Saint-Pierre à me battre avec l'ange des perspectives, envoûté par ses voûtes, enchanté, embaumé dirai-je, comme un pharaon attentif à peindre son sarcophage.
(...)
Voilà, en bref, la genèse de cette découverte que nous fîmes, une fois les lieux déblayés, d'un chef d'oeuvre nu de l'art roman, sauvé du vandalisme moderne par la superbe nonchalance méditerranéenne."
Jean Cocteau à propos de la chapelle Saint-Pierre de Villefranche sur Mer, 1957
L'avant-garde est devenue le classicisme du XXe siècle.
Toutes les droites se recommandent de gauche. Le Rimbaldisme conserve puissance de dogme. Un homme libre se devait d'accomplir un acte digne de souligner l'étonnante attitude de Raymond RADIGUET, inventant qu'il ne convenait plus de contredire les coutumes, mais l'avant-garde; attitude dont j'ai fait ma règle.
Entrer à l'Académie Française était l'acte anti-intellectuel apte à illustrer cette attitude. Il me fallait ensuite joindre à l'acte une oeuvre. J'ai pensé que la décoration d'une église remplirait à merveille cet office.
Il s'agissait d'accomplir l'acte révolutionnaire par excellence, et de tourner le dos au poncif révolutionnaire devenu dogme.
(...)
Pendant cinq mois j'ai vécu dans la petite nef Saint-Pierre à me battre avec l'ange des perspectives, envoûté par ses voûtes, enchanté, embaumé dirai-je, comme un pharaon attentif à peindre son sarcophage.
(...)
Voilà, en bref, la genèse de cette découverte que nous fîmes, une fois les lieux déblayés, d'un chef d'oeuvre nu de l'art roman, sauvé du vandalisme moderne par la superbe nonchalance méditerranéenne."
Jean Cocteau à propos de la chapelle Saint-Pierre de Villefranche sur Mer, 1957
mercredi 5 juin 2013
Pôle muséal, encore...
Monsieur Philippe Junod, ancien professeur d'histoire de l'art à l'Université de Lausanne, s'exprime très intelligemment sur un sujet qui nous préoccupe ici:
http://collectif-gare.ch/2013/06/05/etat-de-vaud-et-patrimoine-bati-la-valse-des-faux-pa
Retenons, entre autres, le dernier paragraphe de son texte:
"Or le débat aura vu fleurir les malentendus, dont la confusion entre « faux vieux » et reconstitution d’un bien culturel endommagé n’est pas le moindre. Quant au slogan de la « modernité », brandi notamment par la solidarité corporative et anachronique de certains architectes, il laisse songeur. « Être de son temps » aujourd’hui, ce n’est pas rester accroché à l’esthétique urbaine d’un Le Corbusier de l’entre-deux-guerres, dont le fameux « Plan Voisin » proposait de raser le vieux Paris pour y construire des tours, mais bien s’inspirer de la Charte internationale sur la conservation et la restauration des monuments et des sites, dite « Charte de Venise » (1965), dont le respect du patrimoine hérité de nos ancêtres est le principe directeur. Lausanne, hélas, en est encore loin."
http://collectif-gare.ch/2013/06/05/etat-de-vaud-et-patrimoine-bati-la-valse-des-faux-pa
Retenons, entre autres, le dernier paragraphe de son texte:
"Or le débat aura vu fleurir les malentendus, dont la confusion entre « faux vieux » et reconstitution d’un bien culturel endommagé n’est pas le moindre. Quant au slogan de la « modernité », brandi notamment par la solidarité corporative et anachronique de certains architectes, il laisse songeur. « Être de son temps » aujourd’hui, ce n’est pas rester accroché à l’esthétique urbaine d’un Le Corbusier de l’entre-deux-guerres, dont le fameux « Plan Voisin » proposait de raser le vieux Paris pour y construire des tours, mais bien s’inspirer de la Charte internationale sur la conservation et la restauration des monuments et des sites, dite « Charte de Venise » (1965), dont le respect du patrimoine hérité de nos ancêtres est le principe directeur. Lausanne, hélas, en est encore loin."
mardi 23 avril 2013
Impostures?
A propos du supplément au Temps « Architecture & Design » printemps-été 2014,
notamment sur l'éditorial et l'article consacré à Pierre-Alain
Dupraz :
L’œuvre
de Monsieur Pierre-Alain Dupraz, telle que présentée dans ces pages, est certes un exercice de style magistral. Toutefois, comme
trop souvent dans l'art contemporain, il me semble que la description
de l’œuvre par une plume éclairée et élégante, comme c'est le
cas dans l'article du Temps, est finalement hélas beaucoup plus intéressante que l'objet en
question. Car l'appréciation élogieuse de ce bâtiment a
tendance à occulter certaines données fondamentales de ce type de
constructions emblématiques de l'esthétique moderniste portée aux
nues depuis presque un siècle. Ces volumes immaculés, abstraits et
épurés, ces baies vitrées, ce béton brut, ces lignes tristement
mais justement décrites comme « découpées au scalpel », appartiennent à une désormais tradition moderniste héritée
entre autres du Corbusier qui, au mieux, donne naissance à
d'élégantes villas telle que celle décrite dans cet article,
mais au pire défigure de plus en plus nos paysages urbains. Car
cette esthétique est une violente et radicale négation de tout le
vocabulaire architectural traditionnel, et est basée sur le credo
hérité du Bauhaus, entre autres, de faire table rase du passé,
entraînant par là des dérives irréparables dans les politiques de
destructions du patrimoine et du rapport au passé. Cette esthétique
est de plus totalement institutionnalisée et quasiment omniprésente,
empêchant toute critique en la taxant de rétrograde, voire de
réactionnaire, pour autant bien sûr qu'elle y réponde, et assurant
par là sa pérennité. Mais sans doute est-ce là un débat plus
large que celui qui nous occupe ici.
Pour en
revenir plus particulièrement à la façon dont le bâtiment érigé par Monsieur
Dupraz nous est présenté, ainsi qu'à son rapport à l'environnement naturel, je pense que
nous avons ici affaire à une véritable imposture, propre à
l'architecture contemporaine. Lorsqu'il est qualifié de
« construction camouflage », et qu'on nous dit qu'il se
« (fond) dans les reliefs du terrain », je m'interroge.
Car cette construction, avec ses formes simples et épurées, suit un
des principes établis par Le Corbusier, qui donnait sa préférence
à des solides « platoniques » et sans ornement. Or l'on
sait que ces formes et structures ne se trouvent quasiment pas dans
la nature, du moins à une large échelle macroscopique. Elles ont,
tout comme les monolithes (et les pyramides par exemple), été
érigées par l'humanité pour célébrer sa domination sur l'ordre
naturel, et ne peuvent donc en aucun cas être envisagées comme des
modèles de cohabitation harmonieuse avec la nature. De plus, leur
refus de l'ornement induit une totale absence de hiérarchie dans les
rapports entre les différentes échelles du bâtiment, ce qui rend
impossible toute similarité avec les structures intrinsèques que
l'on rencontre dans l'ordre naturel1.
En quoi des architectures qui sont si radicales dans leur opposition
avec les esthétiques passées, ainsi qu'avec leurs environnements
bâtis et naturels, peuvent-elles décemment nous être présentées
comme intégrées, ou pire encore, camouflées ?
Sans
compter l'autre élément essentiel de ce bâtiment : le
floutage de la frontière entre intérieur et extérieur (« nous
sommes en plein dans la nature », « comme en vitrine »)
qui pose un certain nombre de problèmes d'ordre quasi
psychanalytique2,
ainsi que la nécessité d'avoir devant ses fenêtres et autour de
soi, pour pleinement jouir des avantages de la construction, un
terrain non négligeable, et donc accessible uniquement à une petite
élite : voilà qui remet méchamment en question les
revendications écologistes contre le mitage du territoire, les
constructions non contiguës etc. (ceci dit les écologistes
vert-libéraux n'en sont plus à une contradiction près...).
1 Nikos
Salingaros, A Theory of Architecture, Umbau-Verlag, 2006
(chapitre 3 notamment)
dimanche 21 avril 2013
Loos et les fractales...
Tiré d'un récent article de Nikos Salingaros et Michael Mehaffy:
http://www.metropolismag.com/pov/20130419/toward-resilient-architectures-3-how-modernism-got-square
Où les fractales ont bien des choses à dire à Adolf Loos:
http://www.metropolismag.com/pov/20130419/toward-resilient-architectures-3-how-modernism-got-square
Où les fractales ont bien des choses à dire à Adolf Loos:
"The
fractal mathematics of nature bears a striking resemblance to human
ornament, as in this fractal generated by a finite subdivision rule.
This is not a coincidence: ornament may be what humans use as a kind
of “glue” to help weave our spaces together. It now appears that
the removal of ornament and pattern has far-reaching consequences for
the capacity of environmental structures to form coherent, resilient
wholes."
"In
this picture of things, ornament is far from mere decoration. It is a
precise category of articulation of the connections between regions
of space by the human beings that design them. It can be thought of
as an essential kind of “glue” that allows different parts of the
environment to echo and connect to one another, in a cognitive sense
and even in a deeper functional sense. Ornament, then, is an
important tool to form a complex fabric of coherent symmetrical
relationships within the human environment."
La conception de l'ornement encore à l'oeuvre de nos jours, et héritée entre autres du triste sire Adolf Loos, a besoin d'être ré-envisagée sous un angle entièrement nouveau. Car ce fonctionnalisme minimaliste encore actuellement en vogue se leurre en croyant que l'efficacité fonctionnelle peut se réduire à une conception formelle simpliste. Un fonctionnalisme intelligent ne peut être simpliste:
"As one functional example, a certain kind of cell-phone antenna incorporating ornament-like fractal patterns (see above) offers the best performance for its tiny size but cannot be conceptualized within a minimalist form language."
Is this ornamental embroidery? Actually, a fractal antenna which, when miniaturized, makes cell phone reception possible. There is an important role here for functionalism, understood in a much deeper sense. Drawing by Nikos Salingaros
A bon entendeur, Loos!
mardi 16 avril 2013
Révolutions muséales...
Encore,
avril 2013, « Sage révolution muséale », Renzo Stroscio
Le
supplément au Matin Dimanche du 14 avril 2013 nous présente cinq
projets de musées helvétiques, qu'il me semble intéressant de
brièvement commenter.
L'auteur
commence par les « bâtis bling-bling » qui souvent sont
de mise hors de nos frontières. Je ne suis pas, loin s'en faut, fan
du « bling-bling », mais peut-être que la Suisse en
aurait bien besoin un minimum, pour insuffler un peu de fantaisie
dans ses « sages révolutions »...
Le mot
d'ordre est donné d'emblée : « motto « épuré et
fonctionnel » ». Après presque 100 ans de ravages
architecturaux et urbanistiques désolants, l'héritage du Corbusier
est toujours proposé au lecteur comme le meilleur du modernisme,
dont les « détails sobres, sans fantaisie » sont le
« comble de l'élégance ». Depuis quand le manque de
fantaisie est-il un gage de qualité et d'élégance ? Sans
parler de ce fonctionnalisme imbécile et réducteur dont l'indigence
a été prouvée à maintes reprises.
Pour
l'extension du Kunsthaus à Zürich, on nous parle d'un « nouvel
équilibre entre l'ancien et le nouveau », mais sans dire un
mot des bâtiments anciens qui seront allègrement démolis pour
permettre au nouveau projet de voir le jour. Étrange équilibre basé
sur la destruction du passé, que l'on nous dit en plus
« (s'intégrer) de manière optimale dans le tissu urbain »
et « cohabiter en douceur ». En quoi une architecture
dont l'esthétique est une négation absolue de tout ce qui l'entoure
peut-elle être considérée comme « intégrée » ?
Et en quoi la violence imposée à l'environnement bâti peut-elle
être associée à de la « douceur » ? Que l'on aime
ou pas ce genre de bâtiments est un problème, mais que cesse enfin
l'imposture ! Que les thuriféraires de ce genre de
constructions admettent, assument et revendiquent une fois pour
toutes le fait qu'elles sont basées sur une négation absolue de
tout le vocabulaire architectural traditionnel sans invoquer cet
argument fallacieux et mensonger d'intégration !
Le
problème est le même à Lausanne. Le projet « moderne et
audacieux » (mais quelle est donc cette audace ? J'en ai
déjà parlé sur ce blog...) a paraît-il reçu « une olà
majestueuse du jury ». De ce que j'en sais, les choses sont
loin d'être aussi simples... mais passons là-dessus. On apprend
ensuite que la nouvelle structure « gardera quelques détails
d'antan. Deux nefs et une verrière « sauvées » (ici
j'apprécie les guillemets) de l'ancien bâtiment des locomotives
retrouveront les fastes du passé après une scrupuleuse restauration
et seront intégrées au nouvel ensemble ». Ici l'on se
retrouve face à la politique lausannoise actuellement en vogue qui,
au delà de tous les recensements architecturaux possibles, consiste
à considérer que la préservation d'un élément, aussi petit
soit-il (morceau de cage d'escaliers, morceau de façade ou autre),
suffit, si on le considère comme un symbole ou un infime rappel
iconique de ce qu'on s'apprête à détruire, à perpétuer la
mémoire du lieu. Et fi de ce qu'on démolit ! L'honneur est
sauf ! Les « fastes du passé » ne sont en fait plus
que de petites pièces de musée, et au temps pour « la
scrupuleuse restauration » !
Que dire
encore du « monolithe » prévu à Coire pour 2016, et de
l'acoquinement de Genève avec Jean Nouvel, justement nommé « star »
de cette nouvelle architecture ?
« Pureté
des lignes, économie des formes, les Suisses ne goûtent pas à
l'extravagance. Les bâtiments se fondent dans le paysage urbain.
(...) C'est aussi ça le renouvellement des villes ! » :
Tristesse et indigence ; imposture et utopies dangereuses !
J'espère que la Suisse a autre chose à nous proposer pour son
avenir !
Le Corbusier et moi....
Le
Corbusier pris à son propre piège... ? Et moi à mon tour ?
Le
Corbusier, 19251 ;
aujourd'hui :
« le
public enfin trituré, catéchisé, exhorté, amené à maturation,
converti, crédule et « à la page », tous, clergé et
catéchumènes de la nouvelle foi, ont décidé : un objet
utile doit être décoré ; compagnon de nos joies et de nos
peines, il doit avoir une âme. Les âmes réunies des objets décorés
créent l'atmosphère radieuse dans laquelle notre sort triste se
passera au rose. Au vide du siècle-machine, il faut répondre par
l'effusion ineffable d'un décor berceur et doucement enivrant.
Dites
un peu, froidement : « Décor ? Je ne comprends pas,
je ne connais pas. Décor, pourquoi ? Décor, actes de ma vie et
de ma pensée, pourquoi ? Décor, présence de mon bonheur,
pourquoi ? »
Une
religion est là, avec un imposant clergé : « C'EST
L'ART », vous répond-on, vous répond la foule des
iconolâtres.
Vous
êtes écrasé, Monsieur, avec votre protestation !"
Il
est amusant de constater que de nos jours la tendance s'est
totalement inversée : l'esthétique moderniste héritière,
entre autres, du Corbusier est à son tour devenue une religion, avec
son clergé d'architectes-star, son catéchisme institutionnalisé et
officialisé dans les écoles d'architecture et leurs catéchumènes
qui imposent leur vision aux quatre coins du monde. Sans compter le
public du vingt et unième siècle, à son tour « converti,
crédule et « à la page » » en regard de cette
nouvelle esthétique, et qui se sentira bien ringard si celle-ci ne
lui sied pas : « C'EST L'ART », lui répond-on, lui
répond la foule des iconoclastes."
Vous
êtes écrasé, Monsieur, avec votre protestation !
« Alors
nous protestons et nous nous expliquerons. (...)
Les
objets utiles de l'existence ont libérés autant d'esclaves
d'autrefois. Ce sont eux les esclaves, les valets, les serviteurs.
Les prendrez-vous comme confidents ? On s'assoit dessus, on
travaille dessus, on en use, on les use ; usés, on les
remplace.
Exigeons
de ces serviteurs, de l'exactitude et de l'à-propos, de la décence,
une modeste présence.
Le
passé n'est pas une entité infaillible... Il a ses choses belles et
les laides. Le mauvais goût n'est pas né d'hier. Le passé profite
d'un avantage sur le présent : il s'enfonce dans l'oubli.
L'intérêt qu'on lui porte n'excite pas nos forces actives absorbées
violemment par le fait contemporain, mais il caresse nos heures de
loisir ; nous le contemplons avec la bénignité du
désintéressement. Signification ethnographique, documents de mœurs,
valeur historique, valeur de collection, s'ajoutent à son état de
beauté ou de laideur et dans les deux alternatives en augmentent
l'intérêt.Nos admirations pour les choses d'une culture antérieure
sont souvent en ce cas objectif, une rencontre captivante de l'animal
qui est en nous avec ce qu'il en restait dans ces produits d'une
culture en cheminement : le simple animal humain des fêtes
foraines. La culture est une marche vers la vie intérieure. Le décor
d'or et de pierres précieuses est le fait du sauvage endimanché qui
nous habite encore. »
Alors
nous protestons et nous nous expliquerons.
Ces
objets, ce n'est pas parce qu'ils sont utiles qu'ils ne peuvent être
objets d'attention, de travail, d'art enfin, et exprimer beaucoup
plus que leur simple fonction.
« Usés,
on les remplace » : est-ce que j'exagère en voyant là
une triste annonce de la loi de l'obsolescence programmée qui nous
gouverne actuellement ? Je ne crois pas, hélas, quand on sait
que cette esthétique moderniste est surtout héritière du Bauhaus,
qui travaillait pour l'industrie allemande de l'après-guerre et
visait avant tout à écouler ses produits.
Quant
à ce rapport horriblement condescendant au passé, ce culte
destructeur de la tabula rasa,
nous en constatons chaque jour les ravages.
« Aucune
raison pratique ou élevée n'excuse ni n'explique l'iconolâtrie.
Puisque l'iconolâtrie se dresse et s'étale puissante comme un
cancer, soyons iconoclastes. »
Aucune
raison pratique ou élevée n'excuse ni n'explique l'iconoclasme.
Puisque l'iconoclasme se dresse et s'étale puissant comme un cancer,
soyons iconolâtres.
***
Je
pourrais être bien content de simplement constater cet ironique
basculement, de voir que l'héritage du Corbusier est devenu ce qu'il
combattait, et m'en tenir là.
Je
dois néanmoins être de bonne foi, et constater que j'ai quelquefois
tendance à user de la même rhétorique que ce triste sire !
Chose que j'ai sciemment exagérée ici-même.
Il
s'agit donc de trouver maintenant de nouveaux outils théoriques qui
nous permettraient de dépasser ces manichéismes souvent trop
simplistes. Et à ce propos je me rappelle à l'enseignement de Edgar
Morin, qui nous disait dans son Introduction à la pensée
complexe qu' « au
paradigme de disjonction/réduction/unidimensionnalisation, il
faudrait substituer un paradigme de disjonction/conjonction qui
permette de distinguer sans disjoindre, d'associer sans identifier ou
réduire. (...) Car « la pathologie moderne de l'esprit est
dans l'hyper-simplification qui rend aveugle à la complexité du
réel. La pathologie de l'idée est dans l'idéalisme, où l'idée
occulte la réalité qu'elle a mission de traduire et se prend pour
seule réelle. La maladie de la théorie est dans le doctrinarisme et
le dogmatisme, qui referment la théorie sur elle-même et la
pétrifient. La pathologie de la raison est la rationalisation qui
enferme le réel dans un système d'idées cohérent mais partiel et
unilatéral, et qui ne sait ni qu'une partie du réel est
irrationalisable, ni que la rationalité a pour mission de dialoguer
avec l'irrationalisable. (...)
Nous
sommes toujours dans la préhistoire de l'esprit humain. Seule la
pensée complexe nous permettrait de civiliser notre connaissance.2 »
A
travailler donc...
J'ajouterai enfin, compulsion maladive à avoir le dernier mot, que je suis fier d'être un sauvage endimanché...
J'ajouterai enfin, compulsion maladive à avoir le dernier mot, que je suis fier d'être un sauvage endimanché...
1Le
Corbusier, L'Art décoratif d'aujourd'hui, Paris, 1925
2Edgar
Morin, Introduction à la pensée complexe
(1990), Seuil, Paris, 2005, pp. 23-24
samedi 6 avril 2013
Densification et démolitions...
La
densification et ses pelleteuses encore à l’œuvre à Lausanne...
La
politique municipale de démolitions systématiques continue son
œuvre à Lausanne.
Le
24 heures du 3 avril nous décrit la démolition du Petit Ruisseau,
qui, suivant d'autres démolitions, annonce le rehaussement prévu
dans le même quartier de 13 immeubles, ainsi que la destruction de
la maison des Lauriers. Les 127 signataires qui tentaient de sauver
le Petit Ruisseau n'ont rien pu faire, de même que les 771
signataires en faveur de la maison des Lauriers, dont l'opposition
vient d'être levée par la municipalité. Cette municipalité qui
insiste avant tout, pour se justifier, sur la légalité et la conformité
des ces destructions avec le Plan général d'affectation et la loi
cantonale.
Quand
donc la municipalité comprendra-t-elle que ces questions relèvent
d'un problème qui va bien au delà de ces questions juridiques ?
Il est
clair que si le débat ne quitte pas ce domaine, toutes les
oppositions possibles resteront inutiles, et ne pourront au mieux que
repousser les débuts des travaux, dès lors que tous les plans
d'affectation auront été élaborés pour faciliter leur exécution.
Ce problème relève d'un débat d'une bien plus grande ampleur.
De
plus, les maigres possibilités légales qui restent aux opposants, à
savoir les notes de recensement, ne valent hélas absolument rien de
nos jours. L'exemple des Lauriers est emblématique : le chef du
Service de l'urbanisme nous le dit : « La note de
recensement du Café des Lauriers est de 4, qui désigne des
bâtiments bien intégrés, que l'on conserve habituellement, mais
qui dans certains cas peuvent tout de même être démolis 1».
C'est le même argument qui avait été évoqué pour justifier la
démolition du bâtiment de Francis Isoz à l'Avenue de la Gare : "certes, habituellement on se devrait de conserver ces bâtiments qui
témoignent d'un certain héritage architectural, d'un style et
d'une époque, voire de tout un quartier, mais si l'on en détruit,
ponctuellement, un ou deux, le dommage est moindre" (je simplifie...). Or
le problème est que ce florilège de cas particuliers dont la
démolition se justifie par son caractère exceptionnel est devenue
une règle. Au nom de ces exceptions prévues, on en vient à
justifier une généralisation des démolitions !
L'autre
argument principal, relayé par l'architecte cantonal, consiste à
déplorer et condamner dans un premier temps le « mitage du
territoire » induit par la volonté de préserver le paysage, pour ensuite justifier une densification urbaine outrancière.
Ainsi, pour préserver le paysage rural, le paysage urbain doit-il à
son tour être défiguré. Les arguments esthétiques en faveur de la
préservation du paysage de nos campagnes ne valent-ils donc plus rien
dès lors que l'on parle de paysage urbain ?
Il
s'agit peut-être de dépasser cette opposition simpliste. Quand donc
comprendrons-nous que le problème ne réside pas dans ce combat
insoluble entre ville et campagne, mais bien dans l'explosion
démographique démentielle qu'à la fois villes et campagnes
subissent ? Cette croissance que tout le monde s'accorde à
louer, encourager et magnifier de façon inconsciente, il s'agirait
peut-être de la remettre en question ? Pour justifier les
ravages urbanistiques qu'il défend, Monsieur Olivier Français nous
rappelle que les autorités de la Ville ont « la responsabilité
de participer au développement de la société ». Mais quelle
société ? Ici une réflexion écologique intelligente
serait nécessaire, non celle des technocrates adeptes aveugles du
standard Minergie comme seul horizon valable, mais de visionnaires
tels qu'un Luc Schuiten par exemple...
1voir
Le Temps
du 6 août 2011
lundi 1 avril 2013
Violence et nihilisme dans le modernisme
The
Tyranny of Artistic Modernism,
by Mark Anthony Signorelli and Nikos A. Salingaros
( J'en propose ici un très bref résumé traduit par moi-même. La version originale intégrale est disponible sur : http://www.newenglishreview.org/custpage.cfm/frm/119633/sec_id/119633.)
( J'en propose ici un très bref résumé traduit par moi-même. La version originale intégrale est disponible sur : http://www.newenglishreview.org/custpage.cfm/frm/119633/sec_id/119633.)
Dans
cet article paru en 20121,
les auteurs nous entretiennent de ce qu'ils appellent le modernisme
artistique. On peut y lire que l'esthétique moderniste qui règne de
nos jours présente certains critères – en architecture, un manque d'échelle et d'ornementation associée à un excès
accablant de l'usage de matériaux tels que verre, acier et béton
brut ; dans les arts plastiques, un rejet des formes naturelles
mêlé à un indéniable goût pour le dérangeant et le clinquant ;
en littérature, une narration non-linéaire, un imaginaire obscur et
ésotérique, et un manque de recherche formelle poétique et
discursive. Autant de critères que l'on pourrait résumer ainsi :
une hostilité et une méfiance envers tous les critères
traditionnels d’excellence, révélés par des millénaires de
culture et de réflexion ; une conception absolue de la liberté
artistique, et totalement coupée des buts de son art ; et,
ainsi que l'a si clairement démontré Roger Scruton, un refus
d'appliquer les catégories du Beau à la création artistique ou à
son appréciation.
Derrière
ces nouvelles conceptions esthétiques œuvre une idéologie défendue
par une part importante de la structure institutionnelle du monde
occidental – universités, maisons d'édition, galeries, presse
écrite, comités d'attribution des prix, etc. Et tout effort créatif
relevant d'autres sources d'inspiration que de cette agression
moderniste est invariablement ignoré ou catalogué comme désuet ou
réactionnaire. Système totalitaire – la dictature du modernisme.
Bien
sûr le règne du modernisme est sur nous depuis plus d'un siècle,
et a depuis imposé ses propres règles et standards et a établi son
propre canon « classique ». Il a également développé
sa propre tradition. Et parce que la production artistique
contemporaine – qu'elle relève du champ de la littérature, de
l'architecture, de la musique ou des arts plastiques – est si
évidemment inférieure à tout ce qui a été produit avant, ses
défenseurs affirment qu'elle appartient per
se, et
uniquement,
au début du vingtième siècle, que depuis le monde de la création
est passé au « post-modernisme », et au-delà, et
qu'ainsi toute critique de l'art contemporain est hors de propos,
désamorçant ainsi par une stratégie subtile toute tentative de
critique, en omettant le fait qu'une grande majorité du modernisme
se complaît dans la négation fondamentale de toute complexité.
Ceci
est d'autant plus remarquable que le modernisme s'est construit en
tant que rejet de la tradition, comme nous le montre le credo du
Bauhaus de faire table rase et de créer un art entièrement libéré
du passé.
Qu'une
mouvance si violemment « anti-traditionnelle » ait
cristallisé dans sa propre tradition pourrait sembler paradoxal.
En
fait, on sait que tout mouvement artistique génère ses propres lois
et règles, mais le mouvement moderniste, en édictant les siennes,
qui étaient simplement les opposées de celles qu'il remplaçait, et
qui niaient la complexité de ce qu'elles remplaçaient, se firent
encore plus conformistes qu'elles.
On
constate, par exemple, que les architectes qui remportent
actuellement des prix copient l’esthétique originellement
approuvée par le Bauhaus, dont les membres travaillaient pour
l'industrie allemande de l'époque pour vendre ses produits
industriels : acier, verre et béton ; nos actuels
« starchitectes » continuent de perpétuer ces exemples
dysfonctionnels.
Si
nous nous interrogeons sur ces règles, nous constatons qu'elles sont
presque toutes totalement opposées à tous les principes
artistiques en vigueur jusqu'à la fin du dix-neuvième siècle.
Quand la tradition envisageait la symétrie au sein de la complexité,
le modernisme envisageait la simplicité extrême, la dislocation et
le déséquilibre. Alors que la tradition voulait apporter du plaisir
(« plaire et instruire », selon Horace), l'art moderne
vise à brutaliser ou donner la nausée (cf. Jacques Barzun, The
Use and Abuse of Art).
Alors que l'architecture pré-moderniste usait des échelles et de
l'ornement, l'architecture moderne promeut de façon agressive le
gigantisme, la stérilité et l’aridité. Alors que la littérature
dite-classique perpétuait les règles grammaticales, la littérature
moderne recourt à des distorsions syntaxiques.
La
tradition moderniste est fondamentalement en conflit avec les
traditions classiques et vernaculaires. Et tout artiste qui croit que
son travail peut s’accommoder de ces deux traditions se leurre, car
l'esthétique moderniste a été fondée en tant que rejet et
négation des œuvres passées, ce qui empêche tout dialogue en le
forçant à faire un choix radical.
Car
le modernisme impose une incroyable violence : voir dans
l'architecture déconstructiviste les procédés qui amènent au
vertige et à la nausée (surplombs sans supports évidents,
bâtiments inclinés, murs intérieurs penchés, longues fenêtres
horizontales qui violentent l'axe vertical défini par la gravité,
etc.). On trouve une forme plus « douce » de cette
violence dans les environnements minimalistes dépourvus de tout
signe de vie : murs d'un blanc absolu, façades sans fenêtres
ou au contraire toutes en rideaux de verre, bâtiments conçus comme
des cubes et boîtes de verre ou de béton, etc. Derrière tout ceci
ne réside que le désespoir, l'absence de toute beauté qui signifie
la totale incapacité de ces artistes d'imaginer une réalité
capable de transcender la terrible laideur du monde moderne.
Ainsi
l'on constate que l'art moderne manifeste le pire de la pensée
moderne – le désespoir, l'irrationnel, la haine de la tradition,
la confusion de la scientia
et et de la techne,
de la sagesse et du pouvoir. Bref, le modernisme artistique est
l'incarnation du nihilisme contemporain.
Ces
manifestations de violence et le rejet qu'elles provoquent
habituellement dans le public amènent leurs auteurs à constamment
réclamer de façon quasi hystérique plus d' « éducation »
- comprenez lavage de cerveau – pour amener les gens « ordinaires »
à accepter leurs idées. De fait, l'emprise presque parfaite qu'ont
les architectes modernistes sur les écoles et les universités est
le facteur le plus important du triomphe de leur style : en
témoignent les écoles d'architecture, où seule une poignée de
cours daigne enseigner une pratique basée sur les techniques
traditionnelles. Et les architectes qui osent encore utiliser dans
leurs dessins le vocabulaire des traditions pré-modernistes sont
dénigrés et taxés de réactionnaires. La machine de propagande du
modernisme a si bien fonctionné que nous assistons aujourd'hui à
une complète inversion des standards et normes artistiques.
Ajouter
à cela le cynisme induit par l’appât du gain et les
considérations d'ordre strictement économique...
La
solution à tout cela ne se trouve pas dans un simpliste retour dans
le passé, mais dans un usage intelligent des sagesses et découvertes
passées, pour , s'en nourrissant, les dépasser et aller de l'avant.
Car une société humaine peut difficilement croître sur un terreau
fait de rejets et de négations. Il s'agit de retrouver certaines
sources d'inspiration – la beauté qui anime le monde naturel,
l'aspiration de l'âme humaine à l'excellence, les aperçus brefs et
imprécis que nous avons d'un but caché derrière l'apparent chaos
de nos existences. De grandes traditions artistiques se sont nourries
de tels printemps ; et ce n'est qu'à partir de semblables
printemps qu'une culture renouvelée émergera de notre époque.
vendredi 29 mars 2013
Blues lausannois, encore...
J'avais écrit en janvier à Madame Béatrice Métraux au sujet du projet Pôle Muséal.
L'on me répond "qu'après une lecture attentive, j'ai pris bonne note de vos remarques et arguments, portant pour la plupart sur le choix du site, l'architecture du projet de futur Musée cantonal des Beaux-Arts et la valeur patrimoniale des halles aux locomotives." Et que "le traitement par l'Etat de Vaud de ces points a été largement diffusé, et ceci depuis le début de la procédure. Dès lors, je vous invite à parcourir le site internet www.polemuseal.ch, sur lequel figurent les documents se rapportant à vos questions."
Je m'interroge... Ma lettre posait des questions basées sur:
- Les informations communiquées à la presse
- Les informations communiquées sur le site internet www.polemuseal.ch
- et surtout sur les arguments énoncés dans la réponse de Madame Métraux aux oppositions au projet.
En guise de réponse, on me renvoie au site internet qui constitue justement une des sources de mes questions!
Dois-je considérer ce genre de cercle non-argumentatif comme une façon de désamorcer ou de dénigrer mes remarques, ou est-ce une incompréhension de la part de mes interlocuteurs?
De plus, l'essentiel de mes questions portait sur la conception absolument effrayante du rapport à notre héritage architectural et historique qui sous-tendait la réponse officielle et juridique que Madame Métraux faisait au sujet de la question des démolitions et destructions des bâtiments anciens et classés: les réponses à ces questions n'apparaissent ni sur le site officiel, ni dans la réponse que l'on me fait!
Pour rappel, je demandais, entre autres:
J'aimerais que l'on me réponde franchement sur ces questions essentielles du rapport officiel au patrimoine bâti!
Lausanne, le 29 mars 2013
L'on me répond "qu'après une lecture attentive, j'ai pris bonne note de vos remarques et arguments, portant pour la plupart sur le choix du site, l'architecture du projet de futur Musée cantonal des Beaux-Arts et la valeur patrimoniale des halles aux locomotives." Et que "le traitement par l'Etat de Vaud de ces points a été largement diffusé, et ceci depuis le début de la procédure. Dès lors, je vous invite à parcourir le site internet www.polemuseal.ch, sur lequel figurent les documents se rapportant à vos questions."
Je m'interroge... Ma lettre posait des questions basées sur:
- Les informations communiquées à la presse
- Les informations communiquées sur le site internet www.polemuseal.ch
- et surtout sur les arguments énoncés dans la réponse de Madame Métraux aux oppositions au projet.
En guise de réponse, on me renvoie au site internet qui constitue justement une des sources de mes questions!
Dois-je considérer ce genre de cercle non-argumentatif comme une façon de désamorcer ou de dénigrer mes remarques, ou est-ce une incompréhension de la part de mes interlocuteurs?
De plus, l'essentiel de mes questions portait sur la conception absolument effrayante du rapport à notre héritage architectural et historique qui sous-tendait la réponse officielle et juridique que Madame Métraux faisait au sujet de la question des démolitions et destructions des bâtiments anciens et classés: les réponses à ces questions n'apparaissent ni sur le site officiel, ni dans la réponse que l'on me fait!
Pour rappel, je demandais, entre autres:
Sur
la destruction d’un monument historique :
Vous
reconnaissez « la valeur patrimoniale non négligeable »
du dépôt de locomotives, mais vous la négligez tout de même !
En affirmant que « cependant il ne s’agit pas d’une
condition absolue », le jury nous dit que « la prise en
compte de l’implantation des halles qui obstruent le site dans la
relation Est/Ouest et le jugement de leur inadaptation à l’accueil
des espaces muséaux excluent donc leur conservation matérielle. Les
auteurs proposent alors de mettre en valeur quelques éléments
précis pour conserver l’héritage du passé sur le plan symbolique
et émotionnel. » Comprenons donc que, si l’on ne conserve
que quelques pièces anecdotiques, que l’on range dans un musée
(et ceci a bien eu lieu pour le bâtiment de Francis Isoz détruit
récemment), l’honneur est sauf ! Tel est donc le message que
vous faites passer : Détruisez tout ce que vous voulez, pour
autant que vous conserviez ne serait-ce qu’une simple brique que
l’on considérera comme un témoin de l’esprit du lieu que vous
avez violé, voire totalement rayé du territoire ! L’argument
d’un rappel symbolique quelconque vous tiendra lieu de
passe-droit ! Pire encore, vous considérez que « la
proposition cohérente et courageuse de ne conserver que des
fragments des halles ne peut s’apprécier qu’en regard de la
qualité de l’espace public proposé et de l’adéquation du
volume simple et abstrait destiné au musée. » Ainsi la
destruction de monuments classés est-elle assimilée à du courage,
pour autant qu’elle conserve un fragment, aussi infime soit-il, de
ce qui a été détruit ! Comment osez-vous assimiler votre
politique de démolition programmée à du courage ?
« Le
jury a acquis la conviction que la mise en valeur de l’esprit du
lieu était plus importante qu’une stricte préservation du
patrimoine lié à la halle de 1911 » : Voici balayés
d’une phrase tous les recensements et classements architecturaux
possibles ! Au point où nous en sommes, rasons la cathédrale,
qui ne sert plus guère, pour n’en conserver qu’une gargouille et
une croix à déposer au Musée historique ! L’argument
pourrait sembler simpliste et populiste, mais je sais de source sûre
que certains personnages haut placés dans la conservation dite
officielle des monuments ne sont pas loin de vouloir défendre de
tels crimes !
Pour
terminer, citons ce passage de votre argumentaire relatif au choix du
site :
« Le
site de la Riponne présente d’évidentes qualités qui ressortent
en particulier du rapport du Groupe cantonal d’évaluation des
sites. Mais ce rapport – qui classe en deuxième position le site
de la gare – n’a la portée que d’un préavis, le choix final
appartenant au Conseil d’Etat. »
Peu
importe l’évidence donc ! Peu importe quelque rapport que ce
soit, du moment que le Conseil d’Etat peut les balayer d’un
revers de la main !!
J'aimerais que l'on me réponde franchement sur ces questions essentielles du rapport officiel au patrimoine bâti!
Lausanne, le 29 mars 2013
lundi 25 mars 2013
Mathornement
La
nécessité mathématique de l'ornement,
Nikos A. Salingaros
Je
découvre ces jours l’œuvre de Nikos Salingaros, professeur de
mathématiques et de physique à l'Université du Texas, et qui a
publié nombre d'articles et d'essais passionnants sur l'architecture
et l'urbanisme, et sur lesquels je reviendrai ici à de nombreuses
reprises.
Un de ses
articles apporte des réponses passionnantes et fort stimulantes à
certaines questions que j'abordais dans mon livre Du
Réel à venir. Voici, en
attendant que je publie ici de plus longs articles qui dialogueront
longuement avec sa pensée, quelques citations tirées de cet
article :
Au
début des années1920 une préférence pour les solides non ornés,
platoniques -- tels que les cubes, les triangles, les sphères, etc.
-- est établie comme l'un des principes de la nouvelle architecture
(Le Corbusier, 1927). A cette époque beaucoup de personnes
prétendent que les formes régulières sont ancrées quelque part
dans la conscience humaine, de telle sorte que le cerveau est
programmé pour les préférer. Nous savons que ceci est faux (Bonta,
1979). Les êtres humains doivent être entraînés s'ils veulent
reconnaître les solides platoniques, purs concepts intellectuels
(Fischler et Firschein, 1987 ; Zeeman, 1962). Ce qui est construit
dans la conscience humaine, c'est un mécanisme de reconnaissance qui
se base sur les subdivisions hiérarchiques, indépendamment de la
forme globale de la structure.
La
préférence pour les solides Platoniques a finalement pris part à
la tradition architecturale de ce siècle. En fait, on pourrait dire
que le succès de l'architecture moderniste est dû à la
quasi-inexistence dans la nature de solides Platoniques à l'échelle
macroscopique. Ainsi un bâtiment avec une forme pure et abstraite
fait contraste avec l'environnement naturel et sort du rang. Le
soleil et la pleine lune -- tous deux des cas exceptionnels de
disques parfaits -- furent les objets de prière des anciens. C'est
aussi le cas des monolithes. L'humanité a construit à travers
l'histoire des structures non naturelles telles que les pyramides,
précisément dans le but d'affirmer la domination de l'homme sur la
nature. (...)L'organisation d'un bâtiment par des échelles distinctes (ou leur absence) a un impact émotif immédiat sur l'utilisateur, ce qui soutiendrait la théorie cognitive de Gibson. Dans le passé, cet effet de perception directe créait habituellement -- mais non sans exception -- un état émotif résolument positif. De nos jours, la réaction à la plupart des nouveaux bâtiments tend à être négative. Ces qualités non naturelles sont imposées aux bâtiments de façon tout à fait délibérée. Les architectes contemporains copient des images, qui définissent un style particulier en vertu du fait qu'elles s'affranchissent de la hiérarchie intégrée des structures naturelles. Trois méthodes qui peuvent être récapitulées comme suit sont utilisées:
(a) Intervalle trop grand entre échelles. Ceci se produit lorsque les sous-structures intermédiaires entre les formes principales et les petits détails des matériaux sont supprimées. Il manque souvent, dans les bâtiments qui présentent des détails très fins, les échelles médianes et inférieures. Un saut exagéré d'échelle se ressent immédiatement, créant une réaction fortement négative chez l'utilisateur. Les frontières évidentes entre les sous-sections sont souvent supprimées ou camouflées pour empêcher la division des formes les plus grandes en plusieurs composants.
(b) Elimination des échelles inférieures. Les architectes minimalistes ont une préférence pour les matériaux amorphes tels que le verre et le béton qui n'ont de sous-structure intrinsèque à aucune échelle. Ceux-ci sont alors utilisés de telle manière qu'aucune échelle inférieure n'apparaît. Le bâtiment n'est autorisé à posséder qu'un nombre très restreint d'échelles, et toutes doivent être de grandes dimensions. L'utilisation brutaliste du béton supprime la partie inférieure de la hiérarchie d'échelles, laissant l'utilisateur sans rien sur quoi se focaliser à l'échelle de la longueur de bras.
(c) Echelles trop étroitement espacées. Brouiller les distinctions entre échelles c'est détruire la hiérarchie d'échelle. Ceci résulte d'une conception surchargée, qui inclue beaucoup d'unités différentes sans correspondances et qui n'ont pas tout à fait la même taille. Les variations aléatoires tuent délibérément la répétition et le rythme. La hiérarchie disparaît lorsque les échelles elles-mêmes sont indistinctes ou lorsqu'elles sont effectivement bien définies mais distribuées aléatoirement. Certains architectes planifient l'« aléatoire » très soigneusement, mais aboutissent le plus souvent à un manque de coopération entre les différents composants. (...)Selon la théorie des systèmes complexes, les grandes échelles dépendent de manière essentielle des petites échelles. Si nous éliminons n'importe quelle échelle architecturale pour laquelle nous ne trouvons pas de justification fonctionnelle, alors nous ruinons la cohérence de la structure entière. Il existe, néanmoins, une gamme d'échelles pour lesquelles il est difficile de justifier d'un besoin fonctionnel. Ce sont les échelles entre 30cm et 3mm, c'est-à-dire les échelles de structure qui définiront l'ornement dans toutes les architectures traditionnelles (Alexander et autres., 1977). La conclusion est que ces échelles -- que l'on perçoit comme nécessaires dans leur contexte originel visuel et émotif -- sont en effet nécessaires pour définir la cohérence du système complexe. C'est ainsi que le système artificiel acquiert les propriétés émergentes que lui donnent sa cohérence. (...)
De telles règles de planification scientifiques n'imposent pas un style visuel; elles travaillent sur le niveau fondamental des éléments de base de conception. Ces règles sont vérifiées par les bâtiments historiques les plus reconnus, et également par les architectures vernaculaires. Le modèle du style architectural est une question de choix individuel, mais l'ordre architectural est profondément lié à l'expérience humaine. Les bâtiments ont toujours possédé une distribution discrète des échelles structurelles prédominantes, jusqu'à ce que nous arrivions au XXème siècle, au cours duquel les échelles architecturales ont été supprimées, soit éliminées, soit distribuées au hasard de façon irrégulière. Ces façons de faire de l'architecture, à l'origine introduites comme « innovatrices », empêchent toute propriété émergente de voir le jour, ce qui était caractéristique des structures les plus cohérentes.
(http://zeta.math.utsa.edu/~yxk833/mathornament-french.html, je souligne).
Commentaires, et ils seront nombreux car passionnés, à venir...
samedi 16 février 2013
Du Réel à venir en ligne
Mon livre n'étant presque plus disponible en version papier, je le mets ici à disposition des gens intéressés à le parcourir.... Merci aux futurs lecteurs, et merci à tous ceux qui le partageront avec leurs amis et connaissances...
Télécharger ici
jeudi 7 février 2013
Château de l'Aile à Vevey
Après les horreurs que j'ai vues érigées juste à côté du Château de Saint-Barthélemy, quel plaisir de constater les travaux que Monsieur Bernd Grohe effectue actuellement sur le château néogothique de Vevey!
Une rénovation respectueuse de A à Z, qui fait appel aux meilleurs corps de métier régionaux (tailleurs de pierre, maçons, charpentiers, et autres artistes),rendant ainsi leur véritable noblesse à des activités que nos constructions modernistes oublient trop souvent, et sans céder une seule fois au triste goût du jour qui trop souvent n'a que faire de la préservation historique de bâtiments admirables, même si ceux-ci sont classés d'importance nationale!
Merci Monsieur Grohe!
http://www.24heures.ch/vaud-regions/riviera-chablais/chteau-aile/story/29337221
Et pour une fois que 24heures ne fait pas l'apologie des destructions trop souvent à l'œuvre en nos contrées, il valait la peine de le citer!
Une rénovation respectueuse de A à Z, qui fait appel aux meilleurs corps de métier régionaux (tailleurs de pierre, maçons, charpentiers, et autres artistes),rendant ainsi leur véritable noblesse à des activités que nos constructions modernistes oublient trop souvent, et sans céder une seule fois au triste goût du jour qui trop souvent n'a que faire de la préservation historique de bâtiments admirables, même si ceux-ci sont classés d'importance nationale!
Merci Monsieur Grohe!
http://www.24heures.ch/vaud-regions/riviera-chablais/chteau-aile/story/29337221
Et pour une fois que 24heures ne fait pas l'apologie des destructions trop souvent à l'œuvre en nos contrées, il valait la peine de le citer!
lundi 21 janvier 2013
Château de Saint-Barthélémy, Vaud
Ce château, malgré de grandes transformations subies entre les XVe et XVIIIe siècle, se présentait encore à nous, il y a peu, sous un jour empreint d'un charme tout médiéval:
S'en suivit une des pires horreurs que j'aie pu voir en terme de dialogue entre architectures médiévale et contemporaine... Les images me semblent ne nécessiter presque aucun commentaire:
L'arc-en-ciel nous signifie-t-il que le déluge du mauvais goût a déjà eu lieu, ou doit-on encore s'attendre à pire que ça...?
S'en suivit une des pires horreurs que j'aie pu voir en terme de dialogue entre architectures médiévale et contemporaine... Les images me semblent ne nécessiter presque aucun commentaire:
Le site officiel nous propose même une charmante photographie de cette greffe immonde:
samedi 19 janvier 2013
Appel d'air...
Pour ceux qui douteraient encore de la nécessité de revenir au surréalisme, et à la poésie, quelques extraits d'un texte que je découvre à l'instant... A faire circuler...
Appel d'air d'Annie Le Brun, paru initialement en 1988 et réédité en 2011:
"...d'avoir été et de rester le seul le seul projet d'envergure à compter avec l'imprescriptible inconvénient d'exister, le surréalisme n'a pas fini d'importer à tous ceux qui ne s'accomoderont jamais du monde comme il va. Je reste persuadée qu'ils sont plus nombreux qu'on voudrait nous le faire croire. Même si la plupart semblent préoccupés, pour l'heure, de gagner à un jeu social auquel, il y a encore peu, ils se faisaient honneur de perdre. (...) Car c'est lui (le rêveur définitif) qu'on travaille à liquider sourdement, avec ses encombrants bagages utopiques, son incorrigible innocence et son désir toujours à venir. (...)Du nouveau roman à la plus récente production romanesque dont on exalte le prosaïsme, on peut suivre les progrès de cette dernière ruse du réalisme: l'expression emboutie sur les contours du réel anéantit la possibilité même d'une interrogation jusqu'à nous faire croire que la réalité coïncide avec la vérité. Ce qui n'empêche nullement, dans le même temps, d'entendre affirmer sur tous les tons qu'il n'y a pas de vérité pour mieux nous convaincre qu'il n'y a pas de mensonge. Ou plus exactement pour nous persuader sans doute possible que seul est vrai ce qui est réel et que tout ce qui ne l'est pas est à suspecter."
J'y reviendrai...
Appel d'air d'Annie Le Brun, paru initialement en 1988 et réédité en 2011:
"...d'avoir été et de rester le seul le seul projet d'envergure à compter avec l'imprescriptible inconvénient d'exister, le surréalisme n'a pas fini d'importer à tous ceux qui ne s'accomoderont jamais du monde comme il va. Je reste persuadée qu'ils sont plus nombreux qu'on voudrait nous le faire croire. Même si la plupart semblent préoccupés, pour l'heure, de gagner à un jeu social auquel, il y a encore peu, ils se faisaient honneur de perdre. (...) Car c'est lui (le rêveur définitif) qu'on travaille à liquider sourdement, avec ses encombrants bagages utopiques, son incorrigible innocence et son désir toujours à venir. (...)Du nouveau roman à la plus récente production romanesque dont on exalte le prosaïsme, on peut suivre les progrès de cette dernière ruse du réalisme: l'expression emboutie sur les contours du réel anéantit la possibilité même d'une interrogation jusqu'à nous faire croire que la réalité coïncide avec la vérité. Ce qui n'empêche nullement, dans le même temps, d'entendre affirmer sur tous les tons qu'il n'y a pas de vérité pour mieux nous convaincre qu'il n'y a pas de mensonge. Ou plus exactement pour nous persuader sans doute possible que seul est vrai ce qui est réel et que tout ce qui ne l'est pas est à suspecter."
J'y reviendrai...
mardi 8 janvier 2013
Blues lausannois, suite
A l’attention de Madame Béatrice Métraux, Conseillère d’Etat,
Cheffe du Département de l’intérieur, Château cantonal, 1014 Lausanne
Madame,
Relativement à la décision de lever les oppositions
faites au projet de « Plate-forme Pôle muséal »,
je voudrais vous faire part des arguments suivants :
Sur l’architecture :
Vous dites avoir constaté que les principaux motifs de
refus du projet de Bellerive étaient le lieu, les coûts, et l’architecture. Le
lieu a donc changé, mais nous y reviendrons, de même que sur les coûts.
Toutefois, quels enseignements avez-vous tiré du dernier point ? Le projet
de Bellerive avait été clairement rejeté en raison de sa silhouette générale,
que nombre de vos électeurs comparaient à un bunker. En quoi votre nouveau
projet diffère-t-il du premier ? A nouveau, nous sommes face à une
construction simplement parallélépipédique, un volume simpliste, un autel dédié
à l’orthogonalisme le plus déprimant et le plus fade, bref, une triste façade lisse
de grisaille aseptisée. Quelles sont donc les raisons qui vous poussent à ne
pas tenir compte des critiques émises par un si grand nombre ?
Sur la destruction d’un monument historique :
Vous reconnaissez « la valeur patrimoniale non
négligeable » du dépôt de locomotives, mais vous la négligez tout de même !
En affirmant que « cependant il ne s’agit pas d’une condition absolue »,
le jury nous dit que « la prise en compte de l’implantation des halles qui
obstruent le site dans la relation Est/Ouest et le jugement de leur
inadaptation à l’accueil des espaces muséaux excluent donc leur conservation
matérielle. Les auteurs proposent alors de mettre en valeur quelques éléments
précis pour conserver l’héritage du passé sur le plan symbolique et émotionnel. »
Comprenons donc que, si l’on ne conserve que quelques pièces anecdotiques, que
l’on range dans un musée (et ceci a bien eu lieu pour le bâtiment de Francis
Isoz détruit récemment), l’honneur est sauf ! Tel est donc le message que
vous faites passer : Détruisez tout ce que vous voulez, pour autant que
vous conserviez ne serait-ce qu’une simple brique que l’on considérera comme un
témoin de l’esprit du lieu que vous avez violé, voire totalement rayé du
territoire ! L’argument d’un rappel symbolique quelconque vous tiendra
lieu de passe-droit ! Pire encore, vous considérez que « la
proposition cohérente et courageuse de ne conserver que des fragments des
halles ne peut s’apprécier qu’en regard de la qualité de l’espace public
proposé et de l’adéquation du volume simple et abstrait destiné au musée. »
Ainsi la destruction de monuments classés est-elle assimilée à du courage, pour
autant qu’elle conserve un fragment, aussi infime soit-il, de ce qui a été
détruit ! Comment osez-vous assimiler votre politique de démolition
programmée à du courage ?
« Le jury a acquis la conviction que la mise en
valeur de l’esprit du lieu était plus importante qu’une stricte préservation du
patrimoine lié à la halle de 1911 » : Voici balayés d’une phrase tous
les recensements et classements architecturaux possibles ! Au point où
nous en sommes, rasons la cathédrale, qui ne sert plus guère, pour n’en
conserver qu’une gargouille et une croix à déposer au Musée historique ! L’argument
pourrait sembler simpliste et populiste, mais je sais de source sûre que
certains personnages haut placés dans la conservation dite officielle des
monuments ne sont pas loin de vouloir défendre de tels crimes !
Pour terminer, citons ce passage de votre argumentaire
relatif au choix du site :
« Le site de la Riponne présente d’évidentes
qualités qui ressortent en particulier du rapport du Groupe cantonal d’évaluation
des sites. Mais ce rapport – qui classe en deuxième position le site de la gare
– n’a la portée que d’un préavis, le
choix final appartenant au Conseil d’Etat. »
Peu importe l’évidence donc ! Peu importe quelque
rapport que ce soit, du moment que le Conseil d’Etat peut les balayer d’un
revers de la main !!
J’espère obtenir des réponses.
dimanche 6 janvier 2013
Manifeste bleu, une fois encore..
Je me répète, mais tant que nos autorités ne nous répondront pas, je réitère:
MANIFESTE
BLEU
(De
l’urbanisme à Lausanne)
Contre
l’hygiénisme et la rationalité puants hérités de l’esprit protestant, mesquin
et punitif du Corbusier.
Contre la
pensée en série et l’uniformité stériles.
Contre
l’asepsie généralisée.
Contre
l’ascétisme esthétique et économique.
Contre
l’utile et le fonctionnel.
Contre
les démolitions abusives.
Contre la
densification à outrance.
***
Nous
exigeons de replacer au pouvoir la folie et l’imagination créatrices dont
dépend notre survie.
Place au
tumulte, aux volutes, aux arabesques, aux couleurs, aux courbes et aux
excroissances !
Que les
agencements des désirs humains phagocytent les obsessions rationnelles des
architectes mercenaires de l’immobilier capitaliste,
Pour
qu’enfin la réalité s’ajuste aux fantasmes !
Pour un
nouveau Surréalisme...
BLUES LAUSANNOIS...
Lettre ouverte aux autorités lausannoises et
cantonales, décideurs du projet « Plate-forme Pôle muséal »
Jusqu’au 24 septembre 2012
était mis à l’enquête le plan d’affectation cantonal de la « Plate-forme
Pôle muséal ». Les oppositions ont éte balayées en un temps record, sans
dialogue ou tentative de conciliation aucune, dans un parfait exercice de
pouvoir autocratique.
Dès que ce projet fut
présenté, on érigea, comme depuis trop souvent à Lausanne,, le minimalisme en
dogme de la pensée architecturale et urbanistique. Dans un éditorial du
24Heures, le rédacteur en chef Thierry Meyer évoquait dans ce choix une
« intelligence [...] bien vaudoise, [...] d’une rationalité élégante,
d’une audace qui préfère la simplicité à l’esbroufe. » Mais qu’était-ce
donc que cette intelligence vaudoise, qui se réfugie dans le pur rationnel, le
lisse, le soigné, le conforme, et qui apparemment n’ose plus flirter avec
l’exubérance, la fantaisie et le rêve, ne nous offrant plus que surfaces
stériles, volumes simplistes, autels voués à l’orthogonalisme (corollaire de la
pensée droite) le plus déprimant et
le plus fade ? Etait-ce donc là toute « l’audace »
vaudoise ? Qui ne propose plus au citoyen que de déprimantes infographies
grises et cubiques (ou parallélépipédiques) en guise de visions d’avenir ?
Le précédent projet de musée à Bellerive
avait pourtant clairement été rejeté, entre autres, pour son aspect bunker
et boîte à chaussures...
De gustibus et coloribus non disputandum me répondra-t-on, encore
et toujours... Toutefois, en une
attitude pathologiquement psychorigide, et, peut-être, par un souci de gloriole
testimoniale, nos autorités s’obstinent.
Passons au rapport au passé.
Le projet retenu par notre audacieuse élite dirigeante oublie avec une légèreté
inqualifiable que le cahier des charges stipulait que la halle aux locomotives
devait être préservée autant que possible. Mais qu’importe la plus petite
considération pour le moindre héritage architectural face au credo tristement
utilitariste de la densification à outrance qui gangrène peu à peu tout Lausanne ?
Car tout bâtiment, à moins d’avoir la chance d’être surclassé et surprotégé,
n’est plus envisagé avec condescendance que comme un « témoin sympathique
du patrimoine régional », dont on se débarrasse allégrement et sans la
moindre compassion. Pour preuve le bâtiment de Francis Isoz, anciennement rue
de la Gare 39, que nos autorités ont lamentablement livré aux pelleteuses de
l’empire Edipresse, qui désirait depuis longtemps se débarrasser d’un témoignage
de l’architecture du début du 20ème siècle qui ne s’accordait plus
avec ses visions d’avenir. Lausanne a clairement amorcé une politique ouverte de démolition. J’en
veux pour autre preuve la prochaine destruction programmée du Lausanne
Guesthouse, abandonné à la politique d’expansion de la gare CFF, qui certes
souffre d’engorgement et d’une explosion démographique qu’il serait peut-être
bon de cesser d’encourager (mais ceci est un autre débat), et prétend que la
seule solution à cette inévitable expansion est de raser nombre d’immeubles
admirables du siècle passé. Les architectes-démolisseurs nous disent leur
« obsession de l’intégration à la ville ». J’attends encore que l’on
m’explique en quoi leurs surfaces stériles s’intègrent, ou même s’accordent,
avec leur environnement bâti (à moins bien sûr que la négation de toutes les
caractéristiques architecturales qui les entourent ne soit une nouvelle
définition de l’intégration... Elle
semble en tout cas une définition de l’urbanisme contemporain à Lausanne :
son architecture est un manifeste nihiliste
du vide et de la platitude absolue, une négation de tout héritage architectural
et patrimonial).
De plus, quelle est la
logique urbanistique qui amène à concentrer à la gare les principaux musées
lausannois ? Alors que touristes et amateurs d’art pourraient visiter ces
musées en parcourant tout Lausanne (tout d’abord l’Elysée, puis Rumine en son
centre, et enfin le MUDAC qui les amènerait à parcourir la vieille ville),
participant ainsi pleinement et véritablement au dynamisme voulu par les autorités, on les concentre et les confine
autour de la gare.
Enfin, ce pseudo concept
de « Projet plate-forme pôle muséal » fait méchamment penser à un
genre de centre commercial de la culture, où tout est à portée de main, à
proximité de la gare, qui elle aussi vise au commercial avant tout. Et on sait depuis la reconfiguration du
Flon que nos autorités apprécient, et pire encore, vantent le fait que
« le cœur de Lausanne tend à devenir un grand centre commercial à ciel
ouvert ». Perspective hautement réjouissante, donc....
Je finirai par demander à
nos autorités, alors que, par exemple, Monsieur Michel Thévoz, ancien
conservateur du Musée de l’Art brut et professeur d’histoire de l’art à
l’université de Lausanne, avait démontré que le Palais de Rumine est, et
pourrait rester, le lieu idéal du Musée cantonal des Beaux-Arts (et nous sommes
nombreux à l’appuyer en ce sens), pourquoi elles ont sciemment ignoré et passé
outre ses excellentes compétences en muséologie, et pourquoi elles s’obstinent à vouloir créer un nouveau musée, alors que
celui-ci existe déjà, et pourrait être amélioré et sublimé à moindres frais ?
Richard
Tanniger
Lausanne,
janvier 2013
Inscription à :
Articles (Atom)