A propos du supplément au Temps « Architecture & Design » printemps-été 2014,
notamment sur l'éditorial et l'article consacré à Pierre-Alain
Dupraz :
L’œuvre
de Monsieur Pierre-Alain Dupraz, telle que présentée dans ces pages, est certes un exercice de style magistral. Toutefois, comme
trop souvent dans l'art contemporain, il me semble que la description
de l’œuvre par une plume éclairée et élégante, comme c'est le
cas dans l'article du Temps, est finalement hélas beaucoup plus intéressante que l'objet en
question. Car l'appréciation élogieuse de ce bâtiment a
tendance à occulter certaines données fondamentales de ce type de
constructions emblématiques de l'esthétique moderniste portée aux
nues depuis presque un siècle. Ces volumes immaculés, abstraits et
épurés, ces baies vitrées, ce béton brut, ces lignes tristement
mais justement décrites comme « découpées au scalpel », appartiennent à une désormais tradition moderniste héritée
entre autres du Corbusier qui, au mieux, donne naissance à
d'élégantes villas telle que celle décrite dans cet article,
mais au pire défigure de plus en plus nos paysages urbains. Car
cette esthétique est une violente et radicale négation de tout le
vocabulaire architectural traditionnel, et est basée sur le credo
hérité du Bauhaus, entre autres, de faire table rase du passé,
entraînant par là des dérives irréparables dans les politiques de
destructions du patrimoine et du rapport au passé. Cette esthétique
est de plus totalement institutionnalisée et quasiment omniprésente,
empêchant toute critique en la taxant de rétrograde, voire de
réactionnaire, pour autant bien sûr qu'elle y réponde, et assurant
par là sa pérennité. Mais sans doute est-ce là un débat plus
large que celui qui nous occupe ici.
Pour en
revenir plus particulièrement à la façon dont le bâtiment érigé par Monsieur
Dupraz nous est présenté, ainsi qu'à son rapport à l'environnement naturel, je pense que
nous avons ici affaire à une véritable imposture, propre à
l'architecture contemporaine. Lorsqu'il est qualifié de
« construction camouflage », et qu'on nous dit qu'il se
« (fond) dans les reliefs du terrain », je m'interroge.
Car cette construction, avec ses formes simples et épurées, suit un
des principes établis par Le Corbusier, qui donnait sa préférence
à des solides « platoniques » et sans ornement. Or l'on
sait que ces formes et structures ne se trouvent quasiment pas dans
la nature, du moins à une large échelle macroscopique. Elles ont,
tout comme les monolithes (et les pyramides par exemple), été
érigées par l'humanité pour célébrer sa domination sur l'ordre
naturel, et ne peuvent donc en aucun cas être envisagées comme des
modèles de cohabitation harmonieuse avec la nature. De plus, leur
refus de l'ornement induit une totale absence de hiérarchie dans les
rapports entre les différentes échelles du bâtiment, ce qui rend
impossible toute similarité avec les structures intrinsèques que
l'on rencontre dans l'ordre naturel1.
En quoi des architectures qui sont si radicales dans leur opposition
avec les esthétiques passées, ainsi qu'avec leurs environnements
bâtis et naturels, peuvent-elles décemment nous être présentées
comme intégrées, ou pire encore, camouflées ?
Sans
compter l'autre élément essentiel de ce bâtiment : le
floutage de la frontière entre intérieur et extérieur (« nous
sommes en plein dans la nature », « comme en vitrine »)
qui pose un certain nombre de problèmes d'ordre quasi
psychanalytique2,
ainsi que la nécessité d'avoir devant ses fenêtres et autour de
soi, pour pleinement jouir des avantages de la construction, un
terrain non négligeable, et donc accessible uniquement à une petite
élite : voilà qui remet méchamment en question les
revendications écologistes contre le mitage du territoire, les
constructions non contiguës etc. (ceci dit les écologistes
vert-libéraux n'en sont plus à une contradiction près...).
1 Nikos
Salingaros, A Theory of Architecture, Umbau-Verlag, 2006
(chapitre 3 notamment)
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