jeudi 26 décembre 2013

Métamorphose et mauvaise foi...

Le site officiel de la ville consacré à la "Métamorphose" de Lausanne met en avant, entre autres, une dite "démarche participative", qui affirme vouloir tenir compte de la volonté des citadins dans l'élaboration  du projet. Une ingénieuse opération de communication fut mise sur pied le printemps dernier, avec exposition de la maquette du projet (pour faire croire à une volonté de transparence sur le déroulement du processus) et demande faite aux visiteurs d'exprimer leurs avis, remarques et doléances (la fameuse "démarche participative"). Nous apprenons le résultat de cette démarche dans le 24Heures du 24-25-26 décembre 2013: "La Municipalité a intégré ces remarques dans son travail. Si elle y apporte des explications, elles n'ont pas donné lieu à des modifications des plans, comme le confirme Pierre Imhof, chef du projet Métamorphose." Une participation citoyenne qu'on rend donc totalement passive, inutile et sans aucun effet, privant ainsi de tout son sens cette fameuse démarche.
Et fidèle à elle-même (ici il faut porter à son crédit une absolue cohérence dans sa politique de démolitions), la Municipalité réaffirme son intention de démolir le stade de la Pontaise même si "elle ne conteste pas la valeur patrimoniale du stade": comme dans trop d'autres affaires, la Municipalité à chaque fois admet la valeur patrimoniale, historique, architecturale, esthétique, que sais-je encore?, des objets à détruire, mais n'en tient aucunement compte dans ses décisions.
Toute l'arrogance et la mauvaise foi de cette politique me semblent ici parfaitement résumées dans ces déclarations...


mercredi 4 décembre 2013

Fondamentalisme géométrique, suite...

"In the end, neither Le Corbusier's architecture nor his urbanism bear any relation to Classical solutions. The buildings Le Corbusier fostered might as well have been razor blades, slicing the world to shreds. Though many critics have attacked them as ugly, their fundamental fault is not an aesthetic poverty so much as a structural poverty: a lack of organized complexity, a toxic disconnectedness. Our civilization's task of replacing its architecture and urbanism of disconnectedness with a newly adaptive architecture of connectivity cannot even begin before Le Corbusier's pervasive influence ceases.
There are those who argue that contemporary architecture and urban planning have sinced moved on to new - and even more horrific - typologies. In fact, Le Corbusier's legacy, and that of other early modernists, is everywhere still today. Architectural academia deified him, and continues to present him to impressionable architecture students as a supreme role model: an architectural legend. His ideas have spread into our society's collective mind, distorting and confusing the message of Classical architecture. He bears the responsability of initiating an inhuman approach to the built environment, where adaptation and responsiveness are unneccesary, even contemptible. That provided the fertile ground for present-day architectural and urban insanities."

Nikos Salingaros, "A Theory of architecture", pp. 184-185

jeudi 14 novembre 2013

Glorification du vide...

Le 24heures d'aujourd'hui nous apprend que la revue d'architecture et de design zurichoise a consacré Lausanne "ville la plus dynamique de Suisse romande". Et que voit-on comme illustrations retenues dans le quotidien? Entre autres, une photo d'une partie du nouveau quartier du Rôtillon, un des plus flagrants ratés urbanistiques de Lausanne, aux façades lisses et vides, aux grandes baies vitrées obscènes à force d'être si nues; une photo du Quartier de l'innovation de l'EPFL,  bâtiments emblématiques, aux formes simplistes, couleurs fades et fenêtres distribuées de façon quasi aléatoires, dans la droite (!) ligne héritée du refus du Corbusier d'aligner des éléments structurels de façon harmonieuse, emblématiques du refus de l'architecture moderne de tenir compte de l'importance des connexions intimes qui existent entre les différentes échelles et de la complexité des répétitions d'ordre fractal qui organisent les façades des bâtiments antérieurs au séisme esthétique subi depuis le premier quart du vingtième siècle; et sans compter encore la halte CFF de Prilly-Malley, qui n'offre que surfaces lisses, vides, sans aucune décoration et qui obéissent à la dictature des formes géométriques simplistes considérées comme la panacée de toute construction à venir.
Et c'est là qu'est le dynamisme de Lausanne? Son allégeance aveugle à une esthétique moderniste sourde à tout héritage passé et toute faite de nihilisme, et la joie de Messieurs Daniel Brélaz et Olivier Français?
Et que dire encore du parti-pris du photographe de présenter des vues "déshumanisées" de la ville? "Elles font plus de bruit que si elles étaient pleines, laissent une grande liberté d'interprétation": l'abstraction et l'idéalisme aveugle se font rois, les choses et les êtres disparaissent derrière les délires mégalomaniaques des architectes et de leurs ouailles....
Triste, triste nouvelle...

mercredi 23 octobre 2013

Guerre aux démolisseurs!

"Il faut arrêter le marteau qui mutile la face du pays. Une loi suffirait; qu'on la fasse: Quels que soient les droits de la propriété, la destruction d'un édifice historique et monumental ne doit pas être permise à ces ignobles spéculateurs que leur intérêt aveugle sur leur honneur; misérables hommes, et si imbéciles, qu'ils ne comprennent même pas qu'ils sont des barbares! Il y a deux choses dans un édifice: son usage et sa beauté. Son usage appartient au propriétaire, sa beauté à tout le monde; c'est donc dépasser son droit que le détruire."
Victor Hugo, 1825

dimanche 13 octobre 2013

Parution de "L'Arrache-rêves"

J'en parle ici car il y est question d'architecture, tout de même, les illustrations étant signées par Ian Green, architecte anglais, et le texte né sous la plume de votre serviteur, et mettant en scène, entre autres, des enfants plus que névrosés...
Parution hier, donc, de "L'Arrache-rêves", nouvelle fantastique, aux Editions Limitées à Lausanne, et en vente dès ces jours prochains en librairie...


mercredi 31 juillet 2013

Fantômes sémiotiques... Suite...

Je tombe aujourd'hui sur une publicité pour des appartements de standing en vente par chez nous:


Et je me souviens des Petits hommes, de Seron (Alerte à Eslapion, éd. Dupuis, 1986, pour cette illustration, mais série apparue pour la première fois presque vingt ans plus tôt dans le Journal de Spirou) :



Alors, Seron visionnaire, ou fantômes sémiotiques, tels qu'évoqués précédemment sur ce blog, à l'oeuvre?La fiction était-elle un souvenir du futur, ou le réel imite-t-il cette fiction? Doit-on se réjouir de pouvoir enfin vivre dans des bâtiments qui appartenaient il y a peu au domaine de la SF, ou doit-on s'en inquiéter?  La question est ouverte...



mercredi 17 juillet 2013

Violence de l'architecture contemporaine: Tschumi et cie...

J'ai évoqué ici à plusieurs reprises la violence fondamentale à l’œuvre dans l'architecture contemporaine, son intransigeance et sa radicalité. On me l'a reproché, sans toutefois me prouver le contraire. Je vais y revenir donc, mais en attendant, et en guise d'amuse-bouche, deux citations piquantes lues il y a peu :

« Je dirais qu'il y a dans l'art, et dans l'architecture, une recherche de la limite et un plaisir de la destruction. (...) Cette recherche de l'essence atteint des limites qui sont de l'ordre des limites de la perception, et qui sont de l'ordre de l'évacuation du visible. Ce n'est plus l’œil qui permet de jouir, c'est l'esprit. Carré blanc sur fond blanc, c'est une forme de limite. » Jean Nouvel, in Jean Baudrillard Jean Nouvel, Les Objets Singuliers, arléa, Paris, 2012, p. 46 (je souligne)

Outre le pervers plaisir sadien (que d'ailleurs Tschumi cite plusieur fois) érigé en principe moteur de cette nouvelle architecture, que dire de l'évacuation de la pulsion scopique en faveur des délires éthérés d'un art purement conceptuel, dont on sait qu'il a mille fois plus d'intérêt dans la description intellectualisée que l'on peut en faire que dans sa contemplation ou sa confrontation ?

« Tschumi confesse dans Architecture and Disjunction (page 210) :  « ...mon propre plaisir n'a jamais fait surface en regardant des constructions, des chefs d’œuvres de l'histoire ou de l'architecture actuelle, mais plutôt en les démantelant ». Ses clients se sont-ils donnés la peine de lire cette déclaration ? Véhicule-t-elle un sentiment approprié de la part de l'architecte choisi pour un musée situé en face du Parthénon ? En outre, est-ce une déclaration d'un architecte d'autorité à laquelle les étudiants, jeunes et influençables, devraient être exposés ? Tschumi est ici honnête, on ne peut le blâmer : toute critique éventuelle doit être adressée aux institutions qui ont commandé ses œuvres et aidé à la propagation de son message. Peut-être que notre civilisation a atteint le point où elle s'enthousiasme pour une architecture qui violente la forme au lieu de l'assembler de manière cohérente. (...) Les bâtiments déconstructivistes ne font pas l'effort de se connecter et de s'intégrer à leur environnement, pour la simple et bonne raison qu'ils souhaitent s'en dégager. »

« La profession architecturale a validé les livres de Tschumi. Les architectes continuent de les acheter et de les lire, et les enseignants les recommandent en cours de théorie architecturale à l'université. Chacun a le droit d'écrire ce qu'il veut, mais quand les cercles architecturaux professionnels, les journaux architecturaux , les plus grandes universités, les éditeurs respectés des monographies architecturales et les institutions gouvernementales félicitent un architecte sur la base de tels écrits, alors le système tout entier est responsable. Quand les choses vont de travers, le poids de la faute incombe directement à ces institutions. »

Nikos Salingaros, Anti-architecture et déconstruction, Umbau-Verlag, 2009, pp. 160/162


mercredi 3 juillet 2013

Pause estivale...

"Le conformisme anticonformiste est à la mode.
L'avant-garde est devenue le classicisme du XXe siècle.
Toutes les droites se recommandent de gauche. Le Rimbaldisme conserve puissance de dogme. Un homme libre se devait d'accomplir un acte digne de souligner l'étonnante attitude de Raymond RADIGUET, inventant qu'il ne convenait plus de contredire les coutumes, mais l'avant-garde; attitude dont j'ai fait ma règle.
Entrer à l'Académie Française était l'acte anti-intellectuel apte à illustrer cette attitude. Il me fallait ensuite joindre à l'acte une oeuvre. J'ai pensé que la décoration d'une église remplirait à merveille cet office.

Il s'agissait d'accomplir l'acte révolutionnaire par excellence, et de tourner le dos au poncif révolutionnaire devenu dogme.

(...)

Pendant cinq mois j'ai vécu dans la petite nef Saint-Pierre à me battre avec l'ange des perspectives, envoûté par ses voûtes, enchanté, embaumé dirai-je, comme un pharaon attentif à peindre son sarcophage.

(...)

Voilà, en bref, la genèse de cette découverte que nous fîmes, une fois les lieux déblayés, d'un chef d'oeuvre nu de l'art roman, sauvé du vandalisme moderne par la superbe nonchalance méditerranéenne."

Jean Cocteau à propos de la chapelle Saint-Pierre de Villefranche sur Mer, 1957



mercredi 5 juin 2013

Pôle muséal, encore...

Monsieur Philippe Junod, ancien professeur d'histoire de l'art à l'Université de Lausanne, s'exprime très intelligemment sur un sujet qui nous préoccupe ici:

http://collectif-gare.ch/2013/06/05/etat-de-vaud-et-patrimoine-bati-la-valse-des-faux-pa

Retenons, entre autres, le dernier paragraphe de son texte:

"Or le débat aura vu fleurir les malentendus, dont la confusion entre « faux vieux » et reconstitution d’un bien culturel endommagé n’est pas le moindre. Quant au slogan de la « modernité », brandi notamment par la solidarité corporative et anachronique de certains architectes, il laisse songeur. « Être de son temps » aujourd’hui, ce n’est pas rester accroché à l’esthétique urbaine d’un Le Corbusier de l’entre-deux-guerres, dont le fameux « Plan Voisin » proposait de raser le vieux Paris pour y construire des tours, mais bien s’inspirer de la Charte internationale sur la conservation et la restauration des monuments et des sites, dite « Charte de Venise » (1965), dont le respect du patrimoine hérité de nos ancêtres est le principe directeur. Lausanne, hélas, en est encore loin."

mardi 23 avril 2013

Impostures?


A propos du supplément au Temps « Architecture & Design » printemps-été 2014, notamment sur  l'éditorial et l'article consacré à Pierre-Alain Dupraz :

L’œuvre de Monsieur Pierre-Alain Dupraz, telle que présentée dans ces pages, est certes un exercice de style magistral. Toutefois, comme trop souvent dans l'art contemporain, il me semble que la description de l’œuvre par une plume éclairée et élégante, comme c'est le cas dans l'article du Temps, est finalement hélas beaucoup plus intéressante que l'objet en question. Car l'appréciation élogieuse de ce bâtiment a tendance à occulter certaines données fondamentales de ce type de constructions emblématiques de l'esthétique moderniste portée aux nues depuis presque un siècle. Ces volumes immaculés, abstraits et épurés, ces baies vitrées, ce béton brut, ces lignes tristement mais justement décrites comme « découpées au scalpel », appartiennent à une désormais tradition moderniste héritée entre autres du Corbusier qui, au mieux, donne naissance à d'élégantes villas telle que celle décrite dans cet article, mais au pire défigure de plus en plus nos paysages urbains. Car cette esthétique est une violente et radicale négation de tout le vocabulaire architectural traditionnel, et est basée sur le credo hérité du Bauhaus, entre autres, de faire table rase du passé, entraînant par là des dérives irréparables dans les politiques de destructions du patrimoine et du rapport au passé. Cette esthétique est de plus totalement institutionnalisée et quasiment omniprésente, empêchant toute critique en la taxant de rétrograde, voire de réactionnaire, pour autant bien sûr qu'elle y réponde, et assurant par là sa pérennité. Mais sans doute est-ce là un débat plus large que celui qui nous occupe ici.
Pour en revenir plus particulièrement à la façon dont le bâtiment érigé par Monsieur Dupraz nous est présenté, ainsi qu'à son rapport à l'environnement naturel, je pense que nous avons ici affaire à une véritable imposture, propre à l'architecture contemporaine. Lorsqu'il est qualifié de « construction camouflage », et qu'on nous dit  qu'il se « (fond) dans les reliefs du terrain », je m'interroge. Car cette construction, avec ses formes simples et épurées, suit un des principes établis par Le Corbusier, qui donnait sa préférence à des solides « platoniques » et sans ornement. Or l'on sait que ces formes et structures ne se trouvent quasiment pas dans la nature, du moins à une large échelle macroscopique. Elles ont, tout comme les monolithes (et les pyramides par exemple), été érigées par l'humanité pour célébrer sa domination sur l'ordre naturel, et ne peuvent donc en aucun cas être envisagées comme des modèles de cohabitation harmonieuse avec la nature. De plus, leur refus de l'ornement induit une totale absence de hiérarchie dans les rapports entre les différentes échelles du bâtiment, ce qui rend impossible toute similarité avec les structures intrinsèques que l'on rencontre dans l'ordre naturel1. En quoi des architectures qui sont si radicales dans leur opposition avec les esthétiques passées, ainsi qu'avec leurs environnements bâtis et naturels, peuvent-elles décemment nous être présentées comme intégrées, ou pire encore, camouflées ?
Sans compter l'autre élément essentiel de ce bâtiment : le floutage de la frontière entre intérieur et extérieur (« nous sommes en plein dans la nature », « comme en vitrine ») qui pose un certain nombre de problèmes d'ordre quasi psychanalytique2, ainsi que la nécessité d'avoir devant ses fenêtres et autour de soi, pour pleinement jouir des avantages de la construction, un terrain non négligeable, et donc accessible uniquement à une petite élite : voilà qui remet méchamment en question les revendications écologistes contre le mitage du territoire, les constructions non contiguës  etc. (ceci dit les écologistes vert-libéraux n'en sont plus à une contradiction près...).


1 Nikos Salingaros, A Theory of Architecture, Umbau-Verlag, 2006 (chapitre 3 notamment)

dimanche 21 avril 2013

Loos et les fractales...

Tiré d'un récent article de Nikos Salingaros et Michael Mehaffy:

http://www.metropolismag.com/pov/20130419/toward-resilient-architectures-3-how-modernism-got-square


Où les fractales ont bien des choses à dire à Adolf Loos:






"The fractal mathematics of nature bears a striking resemblance to human ornament, as in this fractal generated by a finite subdivision rule. This is not a coincidence: ornament may be what humans use as a kind of “glue” to help weave our spaces together. It now appears that the removal of ornament and pattern has far-reaching consequences for the capacity of environmental structures to form coherent, resilient wholes." 



"In this picture of things, ornament is far from mere decoration. It is a precise category of articulation of the connections between regions of space by the human beings that design them. It can be thought of as an essential kind of “glue” that allows different parts of the environment to echo and connect to one another, in a cognitive sense and even in a deeper functional sense. Ornament, then, is an important tool to form a complex fabric of coherent symmetrical relationships within the human environment."

La conception  de l'ornement encore à l'oeuvre de nos jours, et héritée entre autres du triste sire Adolf Loos, a besoin d'être ré-envisagée sous un angle entièrement nouveau. Car ce fonctionnalisme minimaliste encore actuellement en vogue se leurre en croyant que l'efficacité fonctionnelle peut se réduire à une conception formelle simpliste. Un fonctionnalisme intelligent ne peut être simpliste:

"As one functional example, a certain kind of cell-phone antenna incorporating ornament-like fractal patterns (see above) offers the best performance for its tiny size but cannot be conceptualized within a minimalist form language."


Is this ornamental embroidery? Actually, a fractal antenna which, when miniaturized, makes cell phone reception possible. There is an important role here for functionalism, understood in a much deeper sense. Drawing by Nikos Salingaros

A bon entendeur, Loos!



mardi 16 avril 2013

Révolutions muséales...


Encore, avril 2013, « Sage révolution muséale », Renzo Stroscio

Le supplément au Matin Dimanche du 14 avril 2013 nous présente cinq projets de musées helvétiques, qu'il me semble intéressant de brièvement commenter.
L'auteur commence par les « bâtis bling-bling » qui souvent sont de mise hors de nos frontières. Je ne suis pas, loin s'en faut, fan du « bling-bling », mais peut-être que la Suisse en aurait bien besoin un minimum, pour insuffler un peu de fantaisie dans ses « sages révolutions »...
Le mot d'ordre est donné d'emblée : « motto « épuré et fonctionnel » ». Après presque 100 ans de ravages architecturaux et urbanistiques désolants, l'héritage du Corbusier est toujours proposé au lecteur comme le meilleur du modernisme, dont les « détails sobres, sans fantaisie » sont le « comble de l'élégance ». Depuis quand le manque de fantaisie est-il un gage de qualité et d'élégance ? Sans parler de ce fonctionnalisme imbécile et réducteur dont l'indigence a été prouvée à maintes reprises.
Pour l'extension du Kunsthaus à Zürich, on nous parle d'un « nouvel équilibre entre l'ancien et le nouveau », mais sans dire un mot des bâtiments anciens qui seront allègrement démolis pour permettre au nouveau projet de voir le jour. Étrange équilibre basé sur la destruction du passé, que l'on nous dit en plus « (s'intégrer) de manière optimale dans le tissu urbain » et « cohabiter en douceur ». En quoi une architecture dont l'esthétique est une négation absolue de tout ce qui l'entoure peut-elle être considérée comme « intégrée » ? Et en quoi la violence imposée à l'environnement bâti peut-elle être associée à de la « douceur » ? Que l'on aime ou pas ce genre de bâtiments est un problème, mais que cesse enfin l'imposture ! Que les thuriféraires de ce genre de constructions admettent, assument et revendiquent une fois pour toutes le fait qu'elles sont basées sur une négation absolue de tout le vocabulaire architectural traditionnel sans invoquer cet argument fallacieux et mensonger d'intégration !
Le problème est le même à Lausanne. Le projet « moderne et audacieux » (mais quelle est donc cette audace ? J'en ai déjà parlé sur ce blog...) a paraît-il reçu « une olà majestueuse du jury ». De ce que j'en sais, les choses sont loin d'être aussi simples... mais passons là-dessus. On apprend ensuite que la nouvelle structure « gardera quelques détails d'antan. Deux nefs et une verrière « sauvées » (ici j'apprécie les guillemets) de l'ancien bâtiment des locomotives retrouveront les fastes du passé après une scrupuleuse restauration et seront intégrées au nouvel ensemble ». Ici l'on se retrouve face à la politique lausannoise actuellement en vogue qui, au delà de tous les recensements architecturaux possibles, consiste à considérer que la préservation d'un élément, aussi petit soit-il (morceau de cage d'escaliers, morceau de façade ou autre), suffit, si on le considère comme un symbole ou un infime rappel iconique de ce qu'on s'apprête à détruire, à perpétuer la mémoire du lieu. Et fi de ce qu'on démolit ! L'honneur est sauf ! Les « fastes du passé » ne sont en fait plus que de petites pièces de musée, et au temps pour « la scrupuleuse restauration » !
Que dire encore du « monolithe » prévu à Coire pour 2016, et de l'acoquinement de Genève avec Jean Nouvel, justement nommé « star » de cette nouvelle architecture ?

« Pureté des lignes, économie des formes, les Suisses ne goûtent pas à l'extravagance. Les bâtiments se fondent dans le paysage urbain. (...) C'est aussi ça le renouvellement des villes ! » : Tristesse et indigence ; imposture et utopies dangereuses ! J'espère que la Suisse a autre chose à nous proposer pour son avenir !

Le Corbusier et moi....


Le Corbusier pris à son propre piège... ? Et moi à mon tour ?


Le Corbusier, 19251 ; aujourd'hui :

« le public enfin trituré, catéchisé, exhorté, amené à maturation, converti, crédule et « à la page », tous, clergé et catéchumènes de la nouvelle foi, ont décidé : un objet utile doit être décoré ; compagnon de nos joies et de nos peines, il doit avoir une âme. Les âmes réunies des objets décorés créent l'atmosphère radieuse dans laquelle notre sort triste se passera au rose. Au vide du siècle-machine, il faut répondre par l'effusion ineffable d'un décor berceur et doucement enivrant.
Dites un peu, froidement : « Décor ? Je ne comprends pas, je ne connais pas. Décor, pourquoi ? Décor, actes de ma vie et de ma pensée, pourquoi ? Décor, présence de mon bonheur, pourquoi ? »
Une religion est là, avec un imposant clergé : « C'EST L'ART », vous répond-on, vous répond la foule des iconolâtres. 
Vous êtes écrasé, Monsieur, avec votre protestation !"

Il est amusant de constater que de nos jours la tendance s'est totalement inversée : l'esthétique moderniste héritière, entre autres, du Corbusier est à son tour devenue une religion, avec son clergé d'architectes-star, son catéchisme institutionnalisé et officialisé dans les écoles d'architecture et leurs catéchumènes qui imposent leur vision aux quatre coins du monde. Sans compter le public du vingt et unième siècle, à son tour « converti, crédule et « à la page » » en regard de cette nouvelle esthétique, et qui se sentira bien ringard si celle-ci ne lui sied pas : « C'EST L'ART », lui répond-on, lui répond la foule des iconoclastes."
Vous êtes écrasé, Monsieur, avec votre protestation !

« Alors nous protestons et nous nous expliquerons. (...)
Les objets utiles de l'existence ont libérés autant d'esclaves d'autrefois. Ce sont eux les esclaves, les valets, les serviteurs. Les prendrez-vous comme confidents ? On s'assoit dessus, on travaille dessus, on en use, on les use ; usés, on les remplace.
Exigeons de ces serviteurs, de l'exactitude et de l'à-propos, de la décence, une modeste présence.
Le passé n'est pas une entité infaillible... Il a ses choses belles et les laides. Le mauvais goût n'est pas né d'hier. Le passé profite d'un avantage sur le présent : il s'enfonce dans l'oubli. L'intérêt qu'on lui porte n'excite pas nos forces actives absorbées violemment par le fait contemporain, mais il caresse nos heures de loisir ; nous le contemplons avec la bénignité du désintéressement. Signification ethnographique, documents de mœurs, valeur historique, valeur de collection, s'ajoutent à son état de beauté ou de laideur et dans les deux alternatives en augmentent l'intérêt.Nos admirations pour les choses d'une culture antérieure sont souvent en ce cas objectif, une rencontre captivante de l'animal qui est en nous avec ce qu'il en restait dans ces produits d'une culture en cheminement : le simple animal humain des fêtes foraines. La culture est une marche vers la vie intérieure. Le décor d'or et de pierres précieuses est le fait du sauvage endimanché qui nous habite encore. »

Alors nous protestons et nous nous expliquerons.
Ces objets, ce n'est pas parce qu'ils sont utiles qu'ils ne peuvent être objets d'attention, de travail, d'art enfin, et exprimer beaucoup plus que leur simple fonction.
« Usés, on les remplace » : est-ce que j'exagère en voyant là une triste annonce de la loi de l'obsolescence programmée qui nous gouverne actuellement ? Je ne crois pas, hélas, quand on sait que cette esthétique moderniste est surtout héritière du Bauhaus, qui travaillait pour l'industrie allemande de l'après-guerre et visait avant tout à écouler ses produits.
Quant à ce rapport horriblement condescendant au passé, ce culte destructeur de la tabula rasa, nous en constatons chaque jour les ravages.

« Aucune raison pratique ou élevée n'excuse ni n'explique l'iconolâtrie. Puisque l'iconolâtrie se dresse et s'étale puissante comme un cancer, soyons iconoclastes. »

Aucune raison pratique ou élevée n'excuse ni n'explique l'iconoclasme. Puisque l'iconoclasme se dresse et s'étale puissant comme un cancer, soyons iconolâtres.

***

Je pourrais être bien content de simplement constater cet ironique basculement, de voir que l'héritage du Corbusier est devenu ce qu'il combattait, et m'en tenir là.
Je dois néanmoins être de bonne foi, et constater que j'ai quelquefois tendance à user de la même rhétorique que ce triste sire ! Chose que j'ai sciemment exagérée ici-même.
Il s'agit donc de trouver maintenant de nouveaux outils théoriques qui nous permettraient de dépasser ces manichéismes souvent trop simplistes. Et à ce propos je me rappelle à l'enseignement de Edgar Morin, qui nous disait dans son Introduction à la pensée complexe qu' « au paradigme de disjonction/réduction/unidimensionnalisation, il faudrait substituer un paradigme de disjonction/conjonction qui permette de distinguer sans disjoindre, d'associer sans identifier ou réduire. (...) Car « la pathologie moderne de l'esprit est dans l'hyper-simplification qui rend aveugle à la complexité du réel. La pathologie de l'idée est dans l'idéalisme, où l'idée occulte la réalité qu'elle a mission de traduire et se prend pour seule réelle. La maladie de la théorie est dans le doctrinarisme et le dogmatisme, qui referment la théorie sur elle-même et la pétrifient. La pathologie de la raison est la rationalisation qui enferme le réel dans un système d'idées cohérent mais partiel et unilatéral, et qui ne sait ni qu'une partie du réel est irrationalisable, ni que la rationalité a pour mission de dialoguer avec l'irrationalisable. (...)
Nous sommes toujours dans la préhistoire de l'esprit humain. Seule la pensée complexe nous permettrait de civiliser notre connaissance.2 »

A travailler donc...


J'ajouterai enfin, compulsion maladive à avoir le dernier mot, que je suis fier d'être un sauvage endimanché...

1Le Corbusier, L'Art décoratif d'aujourd'hui, Paris, 1925
2Edgar Morin, Introduction à la pensée complexe (1990), Seuil, Paris, 2005, pp. 23-24

samedi 6 avril 2013

Densification et démolitions...


La densification et ses pelleteuses encore à l’œuvre à Lausanne...


La politique municipale de démolitions systématiques continue son œuvre à Lausanne.
Le 24 heures du 3 avril nous décrit la démolition du Petit Ruisseau, qui, suivant d'autres démolitions, annonce le rehaussement prévu dans le même quartier de 13 immeubles, ainsi que la destruction de la maison des Lauriers. Les 127 signataires qui tentaient de sauver le Petit Ruisseau n'ont rien pu faire, de même que les 771 signataires en faveur de la maison des Lauriers, dont l'opposition vient d'être levée par la municipalité. Cette municipalité qui insiste avant tout, pour se justifier, sur la légalité et la conformité des ces destructions avec le Plan général d'affectation et la loi cantonale.
Quand donc la municipalité comprendra-t-elle que ces questions relèvent d'un problème qui va bien au delà de ces questions juridiques ? Il est clair que si le débat ne quitte pas ce domaine, toutes les oppositions possibles resteront inutiles, et ne pourront au mieux que repousser les débuts des travaux, dès lors que tous les plans d'affectation auront été élaborés pour faciliter leur exécution. Ce problème relève d'un débat d'une bien plus grande ampleur.
De plus, les maigres possibilités légales qui restent aux opposants, à savoir les notes de recensement, ne valent hélas absolument rien de nos jours. L'exemple des Lauriers est emblématique : le chef du Service de l'urbanisme nous le dit : « La note de recensement du Café des Lauriers est de 4, qui désigne des bâtiments bien intégrés, que l'on conserve habituellement, mais qui dans certains cas peuvent tout de même être démolis 1». C'est le même argument qui avait été évoqué pour justifier la démolition du bâtiment de Francis Isoz à l'Avenue de la Gare : "certes, habituellement on se devrait de conserver ces bâtiments qui témoignent d'un certain héritage architectural, d'un style et d'une époque, voire de tout un quartier, mais si l'on en détruit, ponctuellement, un ou deux, le dommage est moindre" (je simplifie...). Or le problème est que ce florilège de cas particuliers dont la démolition se justifie par son caractère exceptionnel est devenue une règle. Au nom de ces exceptions prévues, on en vient à justifier une généralisation des démolitions !
L'autre argument principal, relayé par l'architecte cantonal, consiste à déplorer et condamner dans un premier temps le « mitage du territoire » induit par la volonté de préserver le paysage, pour ensuite justifier une densification urbaine outrancière. Ainsi, pour préserver le paysage rural, le paysage urbain doit-il à son tour être défiguré. Les arguments esthétiques en faveur de la préservation du paysage de nos campagnes ne valent-ils donc plus rien dès lors que l'on parle de paysage urbain ?
Il s'agit peut-être de dépasser cette opposition simpliste. Quand donc comprendrons-nous que le problème ne réside pas dans ce combat insoluble entre ville et campagne, mais bien dans l'explosion démographique démentielle qu'à la fois villes et campagnes subissent ? Cette croissance que tout le monde s'accorde à louer, encourager et magnifier de façon inconsciente, il s'agirait peut-être de la remettre en question ? Pour justifier les ravages urbanistiques qu'il défend, Monsieur Olivier Français nous rappelle que les autorités de la Ville ont « la responsabilité de participer au développement de la société ». Mais quelle société ? Ici une réflexion écologique intelligente serait nécessaire, non celle des technocrates adeptes aveugles du standard Minergie comme seul horizon valable, mais de visionnaires tels qu'un Luc Schuiten par exemple...

1voir Le Temps du 6 août 2011

lundi 1 avril 2013

Violence et nihilisme dans le modernisme


The Tyranny of Artistic Modernism, by Mark Anthony Signorelli and Nikos A. Salingaros

( J'en propose ici un très bref résumé traduit par moi-même. La version originale intégrale est disponible sur : http://www.newenglishreview.org/custpage.cfm/frm/119633/sec_id/119633.)



Dans cet article paru en 20121, les auteurs nous entretiennent de ce qu'ils appellent le modernisme artistique. On peut y lire que l'esthétique moderniste qui règne de nos jours présente certains critères – en architecture, un manque d'échelle et d'ornementation associée à un excès accablant de l'usage de matériaux tels que verre, acier et béton brut ; dans les arts plastiques, un rejet des formes naturelles mêlé à un indéniable goût pour le dérangeant et le clinquant ; en littérature, une narration non-linéaire, un imaginaire obscur et ésotérique, et un manque de recherche formelle poétique et discursive. Autant de critères que l'on pourrait résumer ainsi : une hostilité et une méfiance envers tous les critères traditionnels d’excellence, révélés par des millénaires de culture et de réflexion ; une conception absolue de la liberté artistique, et totalement coupée des buts de son art ; et, ainsi que l'a si clairement démontré Roger Scruton, un refus d'appliquer les catégories du Beau à la création artistique ou à son appréciation.
Derrière ces nouvelles conceptions esthétiques œuvre une idéologie défendue par une part importante de la structure institutionnelle du monde occidental – universités, maisons d'édition, galeries, presse écrite, comités d'attribution des prix, etc. Et tout effort créatif relevant d'autres sources d'inspiration que de cette agression moderniste est invariablement ignoré ou catalogué comme désuet ou réactionnaire. Système totalitaire – la dictature du modernisme.
Bien sûr le règne du modernisme est sur nous depuis plus d'un siècle, et a depuis imposé ses propres règles et standards et a établi son propre canon « classique ». Il a également développé sa propre tradition. Et parce que la production artistique contemporaine – qu'elle relève du champ de la littérature, de l'architecture, de la musique ou des arts plastiques – est si évidemment inférieure à tout ce qui a été produit avant, ses défenseurs affirment qu'elle appartient per se, et uniquement, au début du vingtième siècle, que depuis le monde de la création est passé au « post-modernisme », et au-delà, et qu'ainsi toute critique de l'art contemporain est hors de propos, désamorçant ainsi par une stratégie subtile toute tentative de critique, en omettant le fait qu'une grande majorité du modernisme se complaît dans la négation fondamentale de toute complexité.
Ceci est d'autant plus remarquable que le modernisme s'est construit en tant que rejet de la tradition, comme nous le montre le credo du Bauhaus de faire table rase et de créer un art entièrement libéré du passé.
Qu'une mouvance si violemment « anti-traditionnelle » ait cristallisé dans sa propre tradition pourrait sembler paradoxal.
En fait, on sait que tout mouvement artistique génère ses propres lois et règles, mais le mouvement moderniste, en édictant les siennes, qui étaient simplement les opposées de celles qu'il remplaçait, et qui niaient la complexité de ce qu'elles remplaçaient, se firent encore plus conformistes qu'elles.
On constate, par exemple, que les architectes qui remportent actuellement des prix copient l’esthétique originellement approuvée par le Bauhaus, dont les membres travaillaient pour l'industrie allemande de l'époque pour vendre ses produits industriels : acier, verre et béton ; nos actuels « starchitectes » continuent de perpétuer ces exemples dysfonctionnels.
Si nous nous interrogeons sur ces règles, nous constatons qu'elles sont presque toutes totalement opposées à tous les principes artistiques en vigueur jusqu'à la fin du dix-neuvième siècle. Quand la tradition envisageait la symétrie au sein de la complexité, le modernisme envisageait la simplicité extrême, la dislocation et le déséquilibre. Alors que la tradition voulait apporter du plaisir (« plaire et instruire », selon Horace), l'art moderne vise à brutaliser ou donner la nausée (cf. Jacques Barzun, The Use and Abuse of Art). Alors que l'architecture pré-moderniste usait des échelles et de l'ornement, l'architecture moderne promeut de façon agressive le gigantisme, la stérilité et l’aridité. Alors que la littérature dite-classique perpétuait les règles grammaticales, la littérature moderne recourt à des distorsions syntaxiques.
La tradition moderniste est fondamentalement en conflit avec les traditions classiques et vernaculaires. Et tout artiste qui croit que son travail peut s’accommoder de ces deux traditions se leurre, car l'esthétique moderniste a été fondée en tant que rejet et négation des œuvres passées, ce qui empêche tout dialogue en le forçant à faire un choix radical.
Car le modernisme impose une incroyable violence : voir dans l'architecture déconstructiviste les procédés qui amènent au vertige et à la nausée (surplombs sans supports évidents, bâtiments inclinés, murs intérieurs penchés, longues fenêtres horizontales qui violentent l'axe vertical défini par la gravité, etc.). On trouve une forme plus « douce » de cette violence dans les environnements minimalistes dépourvus de tout signe de vie : murs d'un blanc absolu, façades sans fenêtres ou au contraire toutes en rideaux de verre, bâtiments conçus comme des cubes et boîtes de verre ou de béton, etc. Derrière tout ceci ne réside que le désespoir, l'absence de toute beauté qui signifie la totale incapacité de ces artistes d'imaginer une réalité capable de transcender la terrible laideur du monde moderne.
Ainsi l'on constate que l'art moderne manifeste le pire de la pensée moderne – le désespoir, l'irrationnel, la haine de la tradition, la confusion de la scientia et et de la techne, de la sagesse et du pouvoir. Bref, le modernisme artistique est l'incarnation du nihilisme contemporain.
Ces manifestations de violence et le rejet qu'elles provoquent habituellement dans le public amènent leurs auteurs à constamment réclamer de façon quasi hystérique plus d' « éducation » - comprenez lavage de cerveau – pour amener les gens « ordinaires » à accepter leurs idées. De fait, l'emprise presque parfaite qu'ont les architectes modernistes sur les écoles et les universités est le facteur le plus important du triomphe de leur style : en témoignent les écoles d'architecture, où seule une poignée de cours daigne enseigner une pratique basée sur les techniques traditionnelles. Et les architectes qui osent encore utiliser dans leurs dessins le vocabulaire des traditions pré-modernistes sont dénigrés et taxés de réactionnaires. La machine de propagande du modernisme a si bien fonctionné que nous assistons aujourd'hui à une complète inversion des standards et normes artistiques.
Ajouter à cela le cynisme induit par l’appât du gain et les considérations d'ordre strictement économique...

La solution à tout cela ne se trouve pas dans un simpliste retour dans le passé, mais dans un usage intelligent des sagesses et découvertes passées, pour , s'en nourrissant, les dépasser et aller de l'avant. Car une société humaine peut difficilement croître sur un terreau fait de rejets et de négations. Il s'agit de retrouver certaines sources d'inspiration – la beauté qui anime le monde naturel, l'aspiration de l'âme humaine à l'excellence, les aperçus brefs et imprécis que nous avons d'un but caché derrière l'apparent chaos de nos existences. De grandes traditions artistiques se sont nourries de tels printemps ; et ce n'est qu'à partir de semblables printemps qu'une culture renouvelée émergera de notre époque.

  

vendredi 29 mars 2013

Blues lausannois, encore...

J'avais écrit en janvier à Madame Béatrice Métraux au sujet du projet Pôle Muséal.

L'on me répond "qu'après une lecture attentive, j'ai pris bonne note de vos remarques et arguments, portant pour la plupart sur le choix du site, l'architecture du projet de futur Musée cantonal des Beaux-Arts et la valeur patrimoniale des halles aux locomotives." Et que "le traitement par l'Etat de Vaud de ces points a été largement diffusé, et ceci depuis le début de la procédure. Dès lors, je vous invite à parcourir le site internet www.polemuseal.ch, sur lequel figurent les documents se rapportant à vos questions."

Je m'interroge... Ma lettre posait des questions basées sur:

- Les informations communiquées à la presse
- Les informations communiquées sur le site internet www.polemuseal.ch
- et surtout sur les arguments énoncés dans la réponse de Madame Métraux aux oppositions au projet.

En guise de réponse, on me renvoie au site internet qui constitue justement une des sources de mes questions!
Dois-je considérer ce genre de cercle non-argumentatif comme une façon de désamorcer ou de dénigrer mes remarques, ou est-ce une incompréhension de la part de mes interlocuteurs?
De plus, l'essentiel de mes questions portait sur la conception absolument effrayante du rapport à notre héritage architectural et historique qui sous-tendait la réponse officielle et juridique que Madame Métraux faisait au sujet de la question des démolitions et destructions des bâtiments anciens et classés: les réponses à ces questions n'apparaissent ni sur le site officiel, ni dans la réponse que l'on me fait!

Pour rappel, je demandais, entre autres:


Sur la destruction d’un monument historique :

Vous reconnaissez « la valeur patrimoniale non négligeable » du dépôt de locomotives, mais vous la négligez tout de même ! En affirmant que « cependant il ne s’agit pas d’une condition absolue », le jury nous dit que « la prise en compte de l’implantation des halles qui obstruent le site dans la relation Est/Ouest et le jugement de leur inadaptation à l’accueil des espaces muséaux excluent donc leur conservation matérielle. Les auteurs proposent alors de mettre en valeur quelques éléments précis pour conserver l’héritage du passé sur le plan symbolique et émotionnel. » Comprenons donc que, si l’on ne conserve que quelques pièces anecdotiques, que l’on range dans un musée (et ceci a bien eu lieu pour le bâtiment de Francis Isoz détruit récemment), l’honneur est sauf ! Tel est donc le message que vous faites passer : Détruisez tout ce que vous voulez, pour autant que vous conserviez ne serait-ce qu’une simple brique que l’on considérera comme un témoin de l’esprit du lieu que vous avez violé, voire totalement rayé du territoire ! L’argument d’un rappel symbolique quelconque vous tiendra lieu de passe-droit ! Pire encore, vous considérez que « la proposition cohérente et courageuse de ne conserver que des fragments des halles ne peut s’apprécier qu’en regard de la qualité de l’espace public proposé et de l’adéquation du volume simple et abstrait destiné au musée. » Ainsi la destruction de monuments classés est-elle assimilée à du courage, pour autant qu’elle conserve un fragment, aussi infime soit-il, de ce qui a été détruit ! Comment osez-vous assimiler votre politique de démolition programmée à du courage ?
« Le jury a acquis la conviction que la mise en valeur de l’esprit du lieu était plus importante qu’une stricte préservation du patrimoine lié à la halle de 1911 » : Voici balayés d’une phrase tous les recensements et classements architecturaux possibles ! Au point où nous en sommes, rasons la cathédrale, qui ne sert plus guère, pour n’en conserver qu’une gargouille et une croix à déposer au Musée historique ! L’argument pourrait sembler simpliste et populiste, mais je sais de source sûre que certains personnages haut placés dans la conservation dite officielle des monuments ne sont pas loin de vouloir défendre de tels crimes !

Pour terminer, citons ce passage de votre argumentaire relatif au choix du site :

« Le site de la Riponne présente d’évidentes qualités qui ressortent en particulier du rapport du Groupe cantonal d’évaluation des sites. Mais ce rapport – qui classe en deuxième position le site de la gare – n’a la portée que d’un préavis, le choix final appartenant au Conseil d’Etat. »

Peu importe l’évidence donc ! Peu importe quelque rapport que ce soit, du moment que le Conseil d’Etat peut les balayer d’un revers de la main !!



J'aimerais que l'on me réponde franchement sur ces questions essentielles du rapport officiel au patrimoine bâti!

Lausanne, le 29 mars 2013

lundi 25 mars 2013

Mathornement


La nécessité mathématique de l'ornement, Nikos A. Salingaros

Je découvre ces jours l’œuvre de Nikos Salingaros, professeur de mathématiques et de physique à l'Université du Texas, et qui a publié nombre d'articles et d'essais passionnants sur l'architecture et l'urbanisme, et sur lesquels je reviendrai ici à de nombreuses reprises.
Un de ses articles apporte des réponses passionnantes et fort stimulantes à certaines questions que j'abordais dans mon livre Du Réel à venir. Voici, en attendant que je publie ici de plus longs articles qui dialogueront longuement avec sa pensée, quelques citations tirées de cet article :

Au début des années1920 une préférence pour les solides non ornés, platoniques -- tels que les cubes, les triangles, les sphères, etc. -- est établie comme l'un des principes de la nouvelle architecture (Le Corbusier, 1927). A cette époque beaucoup de personnes prétendent que les formes régulières sont ancrées quelque part dans la conscience humaine, de telle sorte que le cerveau est programmé pour les préférer. Nous savons que ceci est faux (Bonta, 1979). Les êtres humains doivent être entraînés s'ils veulent reconnaître les solides platoniques, purs concepts intellectuels (Fischler et Firschein, 1987 ; Zeeman, 1962). Ce qui est construit dans la conscience humaine, c'est un mécanisme de reconnaissance qui se base sur les subdivisions hiérarchiques, indépendamment de la forme globale de la structure.
La préférence pour les solides Platoniques a finalement pris part à la tradition architecturale de ce siècle. En fait, on pourrait dire que le succès de l'architecture moderniste est dû à la quasi-inexistence dans la nature de solides Platoniques à l'échelle macroscopique. Ainsi un bâtiment avec une forme pure et abstraite fait contraste avec l'environnement naturel et sort du rang. Le soleil et la pleine lune -- tous deux des cas exceptionnels de disques parfaits -- furent les objets de prière des anciens. C'est aussi le cas des monolithes. L'humanité a construit à travers l'histoire des structures non naturelles telles que les pyramides, précisément dans le but d'affirmer la domination de l'homme sur la nature. (...)

L'organisation d'un bâtiment par des échelles distinctes (ou leur absence) a un impact émotif immédiat sur l'utilisateur, ce qui soutiendrait la théorie cognitive de Gibson. Dans le passé, cet effet de perception directe créait habituellement -- mais non sans exception -- un état émotif résolument positif. De nos jours, la réaction à la plupart des nouveaux bâtiments tend à être négative. Ces qualités non naturelles sont imposées aux bâtiments de façon tout à fait délibérée. Les architectes contemporains copient des images, qui définissent un style particulier en vertu du fait qu'elles s'affranchissent de la hiérarchie intégrée des structures naturelles. Trois méthodes qui peuvent être récapitulées comme suit sont utilisées: 

(a) Intervalle trop grand entre échelles. Ceci se produit lorsque les sous-structures intermédiaires entre les formes principales et les petits détails des matériaux sont supprimées. Il manque souvent, dans les bâtiments qui présentent des détails très fins, les échelles médianes et inférieures. Un saut exagéré d'échelle se ressent immédiatement, créant une réaction fortement négative chez l'utilisateur. Les frontières évidentes entre les sous-sections sont souvent supprimées ou camouflées pour empêcher la division des formes les plus grandes en plusieurs composants.
(b) Elimination des échelles inférieures. Les architectes minimalistes ont une préférence pour les matériaux amorphes tels que le verre et le béton qui n'ont de sous-structure intrinsèque à aucune échelle. Ceux-ci sont alors utilisés de telle manière qu'aucune échelle inférieure n'apparaît. Le bâtiment n'est autorisé à posséder qu'un nombre très restreint d'échelles, et toutes doivent être de grandes dimensions. L'utilisation brutaliste du béton supprime la partie inférieure de la hiérarchie d'échelles, laissant l'utilisateur sans rien sur quoi se focaliser à l'échelle de la longueur de bras.
(c) Echelles trop étroitement espacées. Brouiller les distinctions entre échelles c'est détruire la hiérarchie d'échelle. Ceci résulte d'une conception surchargée, qui inclue beaucoup d'unités différentes sans correspondances et qui n'ont pas tout à fait la même taille. Les variations aléatoires tuent délibérément la répétition et le rythme. La hiérarchie disparaît lorsque les échelles elles-mêmes sont indistinctes ou lorsqu'elles sont effectivement bien définies mais distribuées aléatoirement. Certains architectes planifient l'« aléatoire » très soigneusement, mais aboutissent le plus souvent à un manque de coopération entre les différents composants.  (...)
Selon la théorie des systèmes complexes, les grandes échelles dépendent de manière essentielle des petites échelles. Si nous éliminons n'importe quelle échelle architecturale pour laquelle nous ne trouvons pas de justification fonctionnelle, alors nous ruinons la cohérence de la structure entière. Il existe, néanmoins, une gamme d'échelles pour lesquelles il est difficile de justifier d'un besoin fonctionnel. Ce sont les échelles entre 30cm et 3mm, c'est-à-dire les échelles de structure qui définiront l'ornement dans toutes les architectures traditionnelles (Alexander et autres., 1977). La conclusion est que ces échelles -- que l'on perçoit comme nécessaires dans leur contexte originel visuel et émotif -- sont en effet nécessaires pour définir la cohérence du système complexe. C'est ainsi que le système artificiel acquiert les propriétés émergentes que lui donnent sa cohérence. (...)



De telles règles de planification scientifiques n'imposent pas un style visuel; elles travaillent sur le niveau fondamental des éléments de base de conception. Ces règles sont vérifiées par les bâtiments historiques les plus reconnus, et également par les architectures vernaculaires. Le modèle du style architectural est une question de choix individuel, mais l'ordre architectural est profondément lié à l'expérience humaine. Les bâtiments ont toujours possédé une distribution discrète des échelles structurelles prédominantes, jusqu'à ce que nous arrivions au XXème siècle, au cours duquel les échelles architecturales ont été supprimées, soit éliminées, soit distribuées au hasard de façon irrégulière. Ces façons de faire de l'architecture, à l'origine introduites comme « innovatrices », empêchent toute propriété émergente de voir le jour, ce qui était caractéristique des structures les plus cohérentes.

(http://zeta.math.utsa.edu/~yxk833/mathornament-french.html, je souligne).



Commentaires, et ils seront nombreux car passionnés, à venir...



samedi 16 février 2013

Du Réel à venir en ligne

Mon livre n'étant presque plus disponible en version papier, je le mets ici à disposition des gens intéressés à le parcourir.... Merci aux futurs lecteurs, et merci à tous ceux qui le partageront avec leurs amis et connaissances...

Télécharger ici

jeudi 7 février 2013

Château de l'Aile à Vevey

Après les horreurs que j'ai vues érigées juste à côté du Château de Saint-Barthélemy, quel plaisir de constater les travaux que Monsieur Bernd Grohe effectue actuellement sur le château néogothique de Vevey!
Une rénovation respectueuse de A à Z, qui fait appel aux meilleurs corps de métier régionaux (tailleurs de pierre, maçons, charpentiers, et autres artistes),rendant ainsi leur véritable noblesse à des activités que nos constructions modernistes oublient trop souvent, et sans céder une seule fois au triste goût du jour qui trop souvent n'a que faire de la préservation historique de bâtiments admirables, même si ceux-ci sont classés d'importance nationale!

Merci Monsieur Grohe!

http://www.24heures.ch/vaud-regions/riviera-chablais/chteau-aile/story/29337221

Et pour une fois que 24heures ne fait pas l'apologie des destructions trop souvent à l'œuvre en nos contrées, il valait la peine de le citer!

lundi 21 janvier 2013

Château de Saint-Barthélémy, Vaud

Ce château, malgré de grandes transformations subies entre les XVe et XVIIIe siècle, se présentait encore à nous, il y a peu, sous un jour empreint d'un charme tout médiéval:




S'en suivit une des pires horreurs que j'aie pu voir en terme de dialogue entre architectures médiévale et contemporaine... Les images me semblent ne nécessiter presque aucun commentaire:


Le site officiel nous propose même une charmante photographie de cette greffe immonde:


L'arc-en-ciel nous signifie-t-il que le déluge du mauvais goût a déjà eu lieu, ou doit-on encore s'attendre à pire que ça...?

samedi 19 janvier 2013

Appel d'air...

Pour ceux qui douteraient encore de la nécessité de revenir au surréalisme, et à la poésie, quelques extraits d'un texte que je découvre à l'instant... A faire circuler...


Appel d'air d'Annie Le Brun, paru initialement en 1988 et réédité en 2011:
"...d'avoir été et de rester le seul le seul projet d'envergure à compter avec l'imprescriptible inconvénient d'exister, le surréalisme n'a pas fini d'importer à tous ceux qui ne s'accomoderont jamais du monde comme il va. Je reste persuadée qu'ils sont plus nombreux qu'on voudrait nous le faire croire. Même si la plupart semblent préoccupés, pour l'heure, de gagner à un jeu social auquel, il y a encore peu, ils se faisaient honneur de perdre. (...) Car c'est lui (le rêveur définitif) qu'on travaille à liquider sourdement, avec ses encombrants bagages utopiques, son incorrigible innocence et son désir toujours à venir. (...)Du nouveau roman à la plus récente production romanesque dont on exalte le prosaïsme, on peut suivre les progrès de cette dernière ruse du réalisme: l'expression emboutie sur les contours du réel anéantit la possibilité même d'une interrogation jusqu'à nous faire croire que la réalité coïncide avec la vérité. Ce qui n'empêche nullement, dans le même temps, d'entendre affirmer sur tous les tons qu'il n'y a pas de vérité pour mieux nous convaincre qu'il n'y a pas de mensonge. Ou plus exactement pour nous persuader sans doute possible que seul est vrai ce qui est réel et que tout ce qui ne l'est pas est à suspecter."
J'y reviendrai...

mardi 8 janvier 2013

Blues lausannois, suite


A l’attention de Madame Béatrice Métraux, Conseillère d’Etat, Cheffe du Département de l’intérieur, Château cantonal, 1014 Lausanne

Madame,

Relativement à la décision de lever les oppositions faites au projet de « Plate-forme Pôle muséal »,
je voudrais vous faire part des arguments suivants :

Sur l’architecture :

Vous dites avoir constaté que les principaux motifs de refus du projet de Bellerive étaient le lieu, les coûts, et l’architecture. Le lieu a donc changé, mais nous y reviendrons, de même que sur les coûts. Toutefois, quels enseignements avez-vous tiré du dernier point ? Le projet de Bellerive avait été clairement rejeté en raison de sa silhouette générale, que nombre de vos électeurs comparaient à un bunker. En quoi votre nouveau projet diffère-t-il du premier ? A nouveau, nous sommes face à une construction simplement parallélépipédique, un volume simpliste, un autel dédié à l’orthogonalisme le plus déprimant et le plus fade, bref, une triste façade lisse de grisaille aseptisée. Quelles sont donc les raisons qui vous poussent à ne pas tenir compte des critiques émises par un si grand nombre ?

Sur la destruction d’un monument historique :

Vous reconnaissez « la valeur patrimoniale non négligeable » du dépôt de locomotives, mais vous la négligez tout de même ! En affirmant que « cependant il ne s’agit pas d’une condition absolue », le jury nous dit que « la prise en compte de l’implantation des halles qui obstruent le site dans la relation Est/Ouest et le jugement de leur inadaptation à l’accueil des espaces muséaux excluent donc leur conservation matérielle. Les auteurs proposent alors de mettre en valeur quelques éléments précis pour conserver l’héritage du passé sur le plan symbolique et émotionnel. » Comprenons donc que, si l’on ne conserve que quelques pièces anecdotiques, que l’on range dans un musée (et ceci a bien eu lieu pour le bâtiment de Francis Isoz détruit récemment), l’honneur est sauf ! Tel est donc le message que vous faites passer : Détruisez tout ce que vous voulez, pour autant que vous conserviez ne serait-ce qu’une simple brique que l’on considérera comme un témoin de l’esprit du lieu que vous avez violé, voire totalement rayé du territoire ! L’argument d’un rappel symbolique quelconque vous tiendra lieu de passe-droit ! Pire encore, vous considérez que « la proposition cohérente et courageuse de ne conserver que des fragments des halles ne peut s’apprécier qu’en regard de la qualité de l’espace public proposé et de l’adéquation du volume simple et abstrait destiné au musée. » Ainsi la destruction de monuments classés est-elle assimilée à du courage, pour autant qu’elle conserve un fragment, aussi infime soit-il, de ce qui a été détruit ! Comment osez-vous assimiler votre politique de démolition programmée à du courage ?
« Le jury a acquis la conviction que la mise en valeur de l’esprit du lieu était plus importante qu’une stricte préservation du patrimoine lié à la halle de 1911 » : Voici balayés d’une phrase tous les recensements et classements architecturaux possibles ! Au point où nous en sommes, rasons la cathédrale, qui ne sert plus guère, pour n’en conserver qu’une gargouille et une croix à déposer au Musée historique ! L’argument pourrait sembler simpliste et populiste, mais je sais de source sûre que certains personnages haut placés dans la conservation dite officielle des monuments ne sont pas loin de vouloir défendre de tels crimes !

Pour terminer, citons ce passage de votre argumentaire relatif au choix du site :

« Le site de la Riponne présente d’évidentes qualités qui ressortent en particulier du rapport du Groupe cantonal d’évaluation des sites. Mais ce rapport – qui classe en deuxième position le site de la gare – n’a la portée que d’un préavis,  le choix final appartenant au Conseil d’Etat. »

Peu importe l’évidence donc ! Peu importe quelque rapport que ce soit, du moment que le Conseil d’Etat peut les balayer d’un revers de la main !!

J’espère obtenir des réponses.


dimanche 6 janvier 2013

Manifeste bleu, une fois encore..

Je me répète, mais tant que nos autorités ne nous répondront pas, je réitère:


MANIFESTE BLEU

(De l’urbanisme à Lausanne)



Contre l’hygiénisme et la rationalité puants hérités de l’esprit protestant, mesquin et punitif du Corbusier.
Contre la pensée en série et l’uniformité stériles.
Contre l’asepsie généralisée.
Contre l’ascétisme esthétique et économique.
Contre l’utile et le fonctionnel.
Contre les démolitions abusives.
Contre la densification à outrance.

***

Nous exigeons de replacer au pouvoir la folie et l’imagination créatrices dont dépend notre survie.
Place au tumulte, aux volutes, aux arabesques, aux couleurs, aux courbes et aux excroissances !
Que les agencements des désirs humains phagocytent les obsessions rationnelles des architectes mercenaires de l’immobilier capitaliste,
Pour qu’enfin la réalité s’ajuste aux fantasmes !

Pour un nouveau Surréalisme...



BLUES LAUSANNOIS...


Lettre ouverte aux autorités lausannoises et cantonales, décideurs du projet « Plate-forme Pôle muséal »

Jusqu’au 24 septembre 2012 était mis à l’enquête le plan d’affectation cantonal de la « Plate-forme Pôle muséal ». Les oppositions ont éte balayées en un temps record, sans dialogue ou tentative de conciliation aucune, dans un parfait exercice de pouvoir autocratique.
Dès que ce projet fut présenté, on érigea, comme depuis trop souvent à Lausanne,, le minimalisme en dogme de la pensée architecturale et urbanistique. Dans un éditorial du 24Heures, le rédacteur en chef Thierry Meyer évoquait dans ce choix une « intelligence [...] bien vaudoise, [...] d’une rationalité élégante, d’une audace qui préfère la simplicité à l’esbroufe. » Mais qu’était-ce donc que cette intelligence vaudoise, qui se réfugie dans le pur rationnel, le lisse, le soigné, le conforme, et qui apparemment n’ose plus flirter avec l’exubérance, la fantaisie et le rêve, ne nous offrant plus que surfaces stériles, volumes simplistes, autels voués à l’orthogonalisme (corollaire de la pensée droite) le plus déprimant et le plus fade ? Etait-ce donc là toute « l’audace » vaudoise ? Qui ne propose plus au citoyen que de déprimantes infographies grises et cubiques (ou parallélépipédiques) en guise de visions d’avenir ? Le précédent projet de musée à Bellerive avait pourtant clairement été rejeté, entre autres, pour son aspect bunker et boîte à chaussures...
De gustibus et coloribus non disputandum me répondra-t-on, encore et toujours... Toutefois, en une attitude pathologiquement psychorigide, et, peut-être, par un souci de gloriole testimoniale, nos autorités s’obstinent.
Passons au rapport au passé. Le projet retenu par notre audacieuse élite dirigeante oublie avec une légèreté inqualifiable que le cahier des charges stipulait que la halle aux locomotives devait être préservée autant que possible. Mais qu’importe la plus petite considération pour le moindre héritage architectural face au credo tristement utilitariste de la densification à outrance qui gangrène peu à peu tout Lausanne ? Car tout bâtiment, à moins d’avoir la chance d’être surclassé et surprotégé, n’est plus envisagé avec condescendance que comme un « témoin sympathique du patrimoine régional », dont on se débarrasse allégrement et sans la moindre compassion. Pour preuve le bâtiment de Francis Isoz, anciennement rue de la Gare 39, que nos autorités ont lamentablement livré aux pelleteuses de l’empire Edipresse, qui désirait depuis longtemps se débarrasser d’un témoignage de l’architecture du début du 20ème siècle qui ne s’accordait plus avec ses visions d’avenir. Lausanne a clairement amorcé une politique ouverte de démolition. J’en veux pour autre preuve la prochaine destruction programmée du Lausanne Guesthouse, abandonné à la politique d’expansion de la gare CFF, qui certes souffre d’engorgement et d’une explosion démographique qu’il serait peut-être bon de cesser d’encourager (mais ceci est un autre débat), et prétend que la seule solution à cette inévitable expansion est de raser nombre d’immeubles admirables du siècle passé. Les architectes-démolisseurs nous disent leur « obsession de l’intégration à la ville ». J’attends encore que l’on m’explique en quoi leurs surfaces stériles s’intègrent, ou même s’accordent, avec leur environnement bâti (à moins bien sûr que la négation de toutes les caractéristiques architecturales qui les entourent ne soit une nouvelle définition de l’intégration... Elle semble en tout cas une définition de l’urbanisme contemporain à Lausanne : son architecture est un manifeste nihiliste du vide et de la platitude absolue, une négation de tout héritage architectural et patrimonial).
De plus, quelle est la logique urbanistique qui amène à concentrer à la gare les principaux musées lausannois ? Alors que touristes et amateurs d’art pourraient visiter ces musées en parcourant tout Lausanne (tout d’abord l’Elysée, puis Rumine en son centre, et enfin le MUDAC qui les amènerait à parcourir la vieille ville), participant ainsi pleinement et véritablement au dynamisme voulu par les autorités, on les concentre et les confine autour de la gare.
Enfin, ce pseudo concept de « Projet plate-forme pôle muséal » fait méchamment penser à un genre de centre commercial de la culture, où tout est à portée de main, à proximité de la gare, qui elle aussi vise au commercial avant tout. Et on sait depuis la reconfiguration du Flon que nos autorités apprécient, et pire encore, vantent le fait que « le cœur de Lausanne tend à devenir un grand centre commercial à ciel ouvert ». Perspective hautement réjouissante, donc....

Je finirai par demander à nos autorités, alors que, par exemple, Monsieur Michel Thévoz, ancien conservateur du Musée de l’Art brut et professeur d’histoire de l’art à l’université de Lausanne, avait démontré que le Palais de Rumine est, et pourrait rester, le lieu idéal du Musée cantonal des Beaux-Arts (et nous sommes nombreux à l’appuyer en ce sens), pourquoi elles ont sciemment ignoré et passé outre ses excellentes compétences en muséologie, et pourquoi elles s’obstinent à vouloir créer un nouveau musée, alors que celui-ci existe déjà, et pourrait être amélioré et sublimé à moindres frais ?



Richard Tanniger

Lausanne, janvier 2013