mardi 11 septembre 2012

Blues lausannois... Lettre ouverte aux autorités...




Lettre ouverte aux autorités lausannoises et cantonales, décideurs du projet « Plate-forme Pôle muséal »

Jusqu’au 24 septembre 2012 est mis à l’enquête le plan d’affectation cantonal de la « Plate-forme Pôle muséal ».
Dès que ce projet fut présenté, on érigea, à nouveau, le minimalisme en dogme de la pensée architecturale et urbaniste lausannoise. Dans un éditorial du 24Heures, le rédacteur en chef Thierry Meyer évoquait dans ce choix une « intelligence [...] bien vaudoise, [...] d’une rationalité élégante, d’une audace qui préfère la simplicité à l’esbroufe. » Mais qu’est-ce donc que cette intelligence vaudoise, qui se réfugie dans le pur rationnel, le lisse, le soigné, le conforme, et qui apparemment n’ose plus flirter avec l’exubérance, la fantaisie et le rêve, ne nous offrant plus que surfaces stériles, volumes simplistes, autels voués à l’orthogonalisme (corollaire de la pensée droite) le plus déprimant et le plus fade ? Est-ce donc là toute « l’audace » vaudoise ? Qui ne propose plus au citoyen que de déprimantes infographies grises et cubiques (ou parallélépipédiques) en guise de visions d’avenir ?
Le précédent projet de musée à Bellerive avait pourtant clairement été rejeté, entre autres, pour son aspect bunker et cercueil à chaussures... Mais De gustibus et coloribus non disputandum me répondra-t-on, encore et toujours... Toutefois, en une attitude pathologiquement psychorigide, et, peut-être, par un souci de gloriole testimoniale, nos autorités s’obstinent.
Parlons du rapport au passé alors. Le projet retenu par l’audacieuse élite dirigeante vaudoise oublie que le cahier des charges stipulait que la halle aux locomotives devait être préservée autant que possible. Mais qu’importe la plus petite considération pour le moindre héritage architectural face au credo bassement utilitariste de la densification à outrance qui gangrène peu à peu tout Lausanne ? Car tout bâtiment, à moins d’avoir la chance d’être surclassé et surprotégé, n’est plus envisagé avec condescendance que comme un « témoin sympathique du patrimoine régional », dont on se débarrasse allégrement et sans la moindre compassion. Pour preuve le bâtiment de Francis Isoz, anciennement rue de la Gare 39 que nos autorités ont livré aux pelleteuses de l’empire Edipresse, qui désirait depuis longtemps se débarrasser d’un témoignage de l’héritage architectural du début du 20ème siècle qui ne s’accordait plus avec ses visions d’avenir. Lausanne a clairement amorcé une politique ouverte de démolition. J’en veux pour autre preuve la prochaine démolition du Lausanne Guesthouse, abandonné à la politique d’expansion de la gare CFF, qui certes souffre d’engorgement et d’une explosion démographique qu’il serait peut-être bon de cesser d’encourager (mais ceci est un autre débat), et prétend que la seule solution à sa nécessaire expansion est de détruire et démolir nombre d’immeubles admirables du siècle passé. Les architectes-démolisseurs nous disent leur « obsession de l’intégration à la ville ». J’attends encore que l’on m’explique en quoi leurs surfaces stériles s’intègrent, ou même s’accordent avec leur environnement bâti (à moins bien sûr que la négation de toutes les caractéristiques architecturales qui les entourent ne soit une nouvelle définition de l’intégration... Elle semble en tout cas une définition de l’urbanisme contemporain à Lausanne : son architecture est un manifeste du vide et de la platitude absolue, une négation de tout héritage architectural et patrimonial).
Dès lors, quelle est la logique urbanistique qui amène à concentrer à la gare les principaux musées lausannois ? Alors que visiteurs et touristes pourraient visiter ces musées en parcourant tout Lausanne (tout d’abord l’Elysée, puis Rumine en son centre, et enfin le MUDAC qui les amènerait à parcourir la vieille ville), participant ainsi pleinement et véritablement au dynamisme voulu par les autorités, on les concentre et les confine autour de la gare.
De plus, ce pseudo concept de « Projet plate-forme pôle muséal » fait méchamment penser à un genre de centre commercial de la culture, où tout est à portée de main, à proximité de la gare, qui elle aussi vise au commercial avant tout. Et on sait depuis la reconfiguration du Flon que nos autorités apprécient, et pire encore, vantent le fait que « le cœur de Lausanne tend à devenir un grand centre commercial à ciel ouvert[1] ». Perspective hautement réjouissante, donc....

Je finirai par demander à nos autorités, alors que Monsieur Michel Thévoz, ancien conservateur du Musée de l’Art brut et professeur d’histoire de l’art à l’université de Lausanne, avait démontré que le Palais de Rumine est, et pourrait rester, le lieu idéal du Musée cantonal des Beaux-Arts (et nous sommes nombreux à l’appuyer en ce sens), pourquoi elles ont sciemment ignoré et passé outre ses excellentes compétences en muséologie, et pourquoi elles s’obstinent à vouloir créer un nouveau musée quand celui-ci existe déjà ?



Richard Tanniger

Lausanne, septembre 2012



[1] Olivier Français dixit....

dimanche 22 juillet 2012

Référendum cantonal : Non au toit !




Les Vaudois seront peut-être amenés à voter sur le projet Rosebud du futur Parlement à la Cité.
Ce projet, dont on peut apprécier les qualités architecturales intrinsèques (mais ceci n’est pas l’enjeu du débat) constitue un scandale dès lors qu’on veut l’implanter au sein du quartier historique de Lausanne.

Certes, il est parfaitement « légal ».
Il n’en demeure pas moins que par un brillant tour de passe-passe, ce projet est légal en regard du plan d’affectation cantonal spécialement créé pour lui, mais déroge totalement aux règles imposées à n’importe quel autre bâtiment de la Cité. Ainsi, l’harmonie et la cohérence protégées par le plan d’affectation du site sont-elles allégrement contournées par ce projet. Comment les autorités pourront-elles empêcher par la suite n’importe quel particulier de faire n’importe quoi dans ce quartier, dès lors qu’on leur répliquera qu’elles-aussi s’en sont octroyé le droit ?

Certes, il répond aux plus récentes normes en vigueur en matière de développement durable et de constructions « écologiques ».
Mais on sait que trop souvent ces éco-constructions n’ont que faire de l’intégration esthétique à l’environnement bâti. Il convient aussi de se méfier du terrible effet de mode que l’écologie bien pensante nous impose de nos jours.

Dès le lendemain de l’incendie, face à la destruction d’un important bâtiment néo-classique du tout début du 19ème siècle, l’attitude la plus intelligente et respectueuse eût été de le reconstruire à l’identique. Mais les autorités refusèrent d’emblée d’entrer en matière sur une telle reconstruction. Elles décidèrent, après avoir volontairement laissé pourrir et se dégrader définitivement pendant plusieurs mois, voire plusieurs années, les quelques restes intouchés par cet incendie, de les remplacer par autre chose.

C’est aujourd’hui contre cet autre chose que les référendaires se battent.

Si vous aussi vous vous insurgez contre un tel projet irrespectueux de l’héritage culturel et architectural, contre la volonté d’ériger un bâtiment qui n’a définitivement pas sa place dans un quartier historique, et qui se moque de la préservation de l’harmonie de la vieille ville lausannoise, signez le référendum, disponible sur www.non-au-toit.ch.



Lausanne, le 22 juillet 2012

vendredi 20 juillet 2012

Du rejet de la circoncision




La circoncision est le substitut symbolique de la castration que le père primitif et omnipotent avait jadis infligée à ses fils. Quiconque acceptait ce symbole montrait par là qu’il était prêt à se soumettre à la volonté paternelle, même si cela devait lui imposer le plus douloureux des sacrifices.

Sigmund Freud


La décision des juges de Cologne de remettre en cause la pratique de la circoncision pour motifs religieux soulève nombre de questions fondamentales, qu’elles soient d’ordre anthropologique, religieux, idéologique, pénal, etc.
Cette décision provoque bien évidemment l’ire des grands mouvements religieux concernés, qui invoquent le droit à la liberté de croyance, et insistent sur l’importance de cette pratique en regard des lois fondamentales qui leur sont prescrites par leur dieu et leurs textes sacrés.
Si ces croyants acceptent que de telles lois gouvernent leur âme et leur corps, grand bien leur fasse. Mais il est clair que de les imposer à d’autres, en l’occurrence aux nouveau-nés mâles, ne relève plus d’une liberté de croyance individuelle. Laissons donc aux mâles le choix de se faire volontairement mutiler lorsqu’ils auront atteint un âge suffisamment décent pour ce genre de décision. Car il s’agit bien d’une mutilation génitale, d’une amputation barbare et irréversible, d’une blessure infligée sans impératif médical à un tout jeune enfant et qui, de ce fait, devrait effectivement relever du droit pénal. Et si cette pratique se justifie selon eux car dictée par une loi divine (la circoncision étant établissement d’un pacte d’allégeance entre l’homme et son dieu), il serait bon de leur rappeler que, jusqu’à preuve du contraire, nous ne vivons pas dans un régime théocratique, et qu’il n’y a aucune raison que ces lois prévalent sur celles du code pénal.
En outre, au-delà de ces considérations strictement factuelles, il est fort intéressant de s’interroger, dans une optique plus psychanalytique, sur les raisons symboliques de ceux qui, même non-croyants, s’insurgent contre la décision allemande.
La circoncision institue un lien avec la transcendance, mais en refoulant en l’homme tout signe féminin[1]. Elle détache le garçon de sa mère et, en l’introduisant dans la communauté des hommes, renforce sa masculinité. Ainsi refuser la circoncision reviendrait à s’insurger tout d’abord contre un mode de domination de type patriarcal, mais surtout contre « tout renoncement, pour tout être humain, au jeu bisexuel, sacrilège car il serait rivalité fantasmatique avec Dieu, volonté d’empiétement sur son être[2] », relevant d'une mystique, aspiration ou nostalgie androgyne. Plus simplement, ce serait refuser toute partition exclusive des rôles sexuels. On sent poindre ici les discours misogynes et homophobes,...
Refuser la circoncision (tout comme le refus des lois cérémonielles de la Thora ou du Coran, ainsi que des lois alimentaires) serait une révolte contre le signe de la soumission de l’homme à Dieu, un abandon du monothéisme pour le paganisme.
Tout ceci n'étant bien sûr qu'une ébauche sommaire d'interprétation, mais qu'il serait passionnant de mener plus avant.
On comprend toutefois déjà aisément pourquoi les religions monothéistes, forcément exclusives et intolérantes, mais aussi tous ceux qu’une telle remise en question des rapports entre masculin et féminin au sein de l’individu dérange se sentent si offusqués et menacés...


Lausanne, juillet 2012


[1] « Nunberg a établi le fait que la circoncision peut avoir le sens de la perte de la mère, et a examiné plus en détail la signification du prépuce comme symbolisant le vagin, le rectum et la féminité ». Masud/Khan, « Le fétichisme comme négation du soi », in Nouvelle revue de psychanalyse numéro 2, automne 1970
[2] Roger Lewinter, « Groddeck : (anti)judaïsme et bisexualité », in Nouvelle revue de psychanalyse numéro 7, printemps 1973

mardi 17 juillet 2012

Green lantern...



Nulle ombre de révolte ce soir, ni d'insurrection ou de scandale...


Juste un petit billet sans intentions polémiques, et charmé...


Rentrant chez moi par le pont Bessières, mon septentrion se vit occulté par la silhouette, toujours enchanteresse, de la cathédrale, en cette nuit illuminée d'une étrange lueur verte, presque fluorescente...


Merci à ceux qui oeuvrent à nous offrir ces luminescences décalées, que d'aucuns, sans doute, trouveront déplacées... Mais qu'importe!!


Lausanne s'endormira cette nuit, et moi avec, baignée d'une atmosphère irréelle...




dimanche 1 juillet 2012

Panem et circenses


Lausanne vit à l’heure du projet Métamorphose. Les autorités lausannoises estiment que le développement de la ville doit se faire à travers quatre axes principaux, dont le premier, du moins selon l’ordre de présentation qui nous est proposé, est une « redistribution des équipements sportifs. Le projet dotera la ville d’équipements sportifs modernes, avec, au nord, un stade d’athlétisme, une salle sport-spectacle, un centre sportif et, au sud, un complexe sportif regroupant stade de football, piscine olympique et boulodrome. Toutes les installations, et en particulier la salle sport-spectacle et la piscine, ont une forte vocation populaire. »
On peut facilement comprendre ce qui motive ce projet : l’immense engouement populaire pour les grandes manifestations sportives, l’afflux de capitaux drainés par les fédérations sportives internationales, CIO en tête... Mais peut-être serait-il bon de s’interroger sur les implications d’une telle option urbanistique. Pour ce faire, la lecture d’un ouvrage, récemment paru, de Robert Redeker, intitulé L’emprise sportive[1], sera éclairante, voire édifiante.
La thèse principale de cet ouvrage est la suivante : contrairement à ce que souvent l’on veut nous faire croire, à savoir que le sport serait un simple exutoire ou une pratique cathartique, « il n’est pas un reflet – selon la croyance d’une plate et paresseuse sociologie, le football refléterait la société, pour le meilleur et pour le pire – mais l’inverse : le sport structure la société, la modèle, la contraint à lui ressembler. » Il s’avère en fait que le sport nous impose, à tort ou à raison, l’idée que la compétition est la première condition du progrès, et que toute existence doit se mesurer à l’aune de la performance et de l’évaluation chiffrée. Son idéologie est d’autant plus insidieuse qu’elle est rarement explicitement exprimée, sauf peut-être dans la perverse devise olympique (plus vite, plus haut, plus fort[2]), devenue l’hymne de l’homme moderne.
Et que les instances dirigeantes ne s’y trompent pas. Qu’elles ne croient pas mettre le sport au service de leur Cité, car ce sport « est tout autre chose qu’un outil ou qu’un moyen qui ne modifierait pas qui compte s’en servir ; il est un système total, une machinerie planétaire qui transforme profondément aussi bien les hommes que le rapport des hommes au monde. [...] Il ne peut en aucun cas être repris comme instrument de libération sociale. Le sport n’est pas ambigu : il est le catéchisme hard du capitalisme, de la guerre de chacun contre chacun et de la loi du plus fort. » N’apportant aucun message d’espoir, voué au culte de l’homme-loup, de l’homme gagnant, conformiste et consommateur.
En accordant une place si importante au sport dans le développement de la cité, nos autorité font de Lausanne, inconsciemment peut-être, un bastion de cette idéologie perverse. Il serait salutaire qu’elles se consacrent à mettre en avant une Lausanne culturelle, non de cette culture de masse imbécile incarnée, par exemple, dans les débordements sonores liés aux mondiaux et autres matchs de l’Euro, mais une Lausanne qui mise avant tout (là est l’essentiel) sur les théâtres, l’opéra, le Ballet Béjart, l’OCL, que sais-je encore...
Car il y va de la survie de tout ce qui résiste au sport-spectacle, et la poésie avant tout. Hölderlin disait que l’homme habite en poète sur cette Terre. Il me chagrinerait qu’il n’y habitât plus qu’en supporter...

Juillet 2012




[1] Robert Redeker, L’emprise sportive, François Bourin Editeur, Paris, 2012
[2] Lausanne, qui se targue d’être une ville olympique, ferait bien de s’interroger sur les dommages collatéraux et les ravages psycho-sociaux d’une telle devise...

lundi 28 mai 2012

Fantômes sémiotiques...


Relisant hier la nouvelle inaugurale de William Gibson, Le continuum Gernsback, je m’amusai d’abord d’y relever, à propos du Johnson’s Wax Building de Frank Lloyd Wright, que sa réalisation « semblait avoir été conçue pour des êtres en toges blanches et sandales de plexiglas. » ! Mais passons... quoique...
Plus intéressante était la remarque que faisait au narrateur l’un de ses amis à propos d’une vision que celui-là aurait eue :
« Si tu désires une explication plus chic, je peux te dire que tu as vu un fantôme sémiotique. Prends ces histoires de contactés par exemple. Eh bien, elles s’ancrent toutes dans une espèce d’imagerie de science-fiction qui baigne notre culture. Je t’assure que je pourrais accepter ces extraterrestres s’ils n’avaient pas l’air de sortir des bandes dessinées des années cinquante. Ce sont des fantômes sémiotiques, des rescapés d’une imagerie culturelle enfouie au plus profond de l’inconscient qui ont acquis une existence propre, à la façon des véhicules spatiaux de Jules Verne que les vieux fermiers du Kansas ne manquaient jamais d’apercevoir. Et toi, tu as vu un autre type de fantôme, voilà tout. Cet avion appartenait autrefois à l’inconscient collectif et tu as flashé là-dessus. L’essentiel, c’est de ne pas t’inquiéter à ce sujet. »
Il faut bien sûr d’abord y voir une description intelligente des processus à l’œuvre dans le steampunk, mais il peut également être intéressant d’appliquer cette idée à certains modèles architecturaux.
Si l’on pense à quelques films qui ont marqué l’imaginaire de la SF, tels que THX 1138, ou, pour prendre un exemple beaucoup plus récent, The Island, il aurait pu être amusant qu’un homme du XXIème siècle fût victime d’hallucinations d’univers urbains blancs monochromes, et que ceux-ci ne relevassent que de ce phénomène de fantômes sémiotiques.
Hélas, si l’on se penche sur les illustrations de nombre d’éco-quartiers que l’on nous propose aujourd’hui, il semble que ces espaces uniformément blancs, épurés, aseptisés et confinés, mais présentés de manière idyllique, aient quitté le domaine du fantomatique pour le réel. L’imagerie SF des années 30 et 50 semble avoir quitté le monde de la représentation fictive pour celui des présentations infographiques des nouveaux architectes.
Je me réserve pour plus tard l’exercice, qui sera sans doute édifiant, consistant à comparer les représentations iconographiques des dystopies urbaines futures avec les alarmantes infographies actuelles. Mais j’engage déjà chacun à commencer d’y penser...
Car je pense qu’il y a lieu de s’inquiéter. Et sérieusement.


Lausanne, mai 2012

mardi 10 avril 2012

Ecologies...

L’écologie, nous dit l’étymologie, se veut l’étude des milieux qu’habitent, entre autres, les être vivants que nous sommes, et des rapports que ceux-ci entretiennent avec ceux-là. Elle vise à penser le meilleur équilibre possible entre l’homme et son environnement naturel. L’écologie est donc avant tout pensée et réflexion. Interrogation sur ce qui constitue l’habitation au sens large (oikos) de l’homme.
Je voudrais ici brièvement questionner au sujet de l’écologie telle qu’elle se présente à nous actuellement.
L’on sait le monde catastrophique que, sans aucun doute à raison, les écologistes veulent éviter. Ce monde, je n’en veux pas non plus. Mais, en réponse à ce problème, que nous propose-t-on aujourd’hui, dans le domaine de l’architecture et de l’habitat, à Lausanne en particulier ? Le discours courant et désormais communément admis se réfère avant tout à des critères strictement techniques. On nous démontre que l’essentiel du parc immobilier est ancien et mal isolé, certes, mais ouvrant ainsi grand la porte au désir de certains de faire table rase du passé et de démolir ce qui ne correspond plus aux nouvelles normes. Conception, on le sait, très en vogue au sein des instances dirigeantes de Lausanne. On nous définit nos futures maisons comme des « outils technologiques complexes [1]» à utiliser et à habiter de manière adéquate et cohérente. Conception tristement rationnalisante et techniciste de l’habitation.
 Le label Minergie nous est présenté comme l’idéal absolu de la réflexion écologiste actuelle. Qu’en est-il de ce label ? Des isolations démentielles à triple vitrage, des systèmes d’aération où le simple fait d’ouvrir une fenêtre est considéré comme un crime contre l’économie d’énergie, des insonorisations extrêmes qui frisent l’autisme le plus déprimant, une absence totale enfin de toute prétention à l’ornementation et la décoration du bâti, et j’en passe...
Cette soumission de la pensée écologique à des critères strictement techniques et économiques me semble extrêmement réductrice. Car elle oblitère totalement la pensée poétique de ce qui fait l’habiter de l’homme. Car on sait «qu’il pourrait être utile de considérer avec calme la parole du poète. Elle parle de l’habitation de l’homme. Elle ne décrit pas les conditions présentes de l’habitation. Surtout, elle n’affirme pas qu’habiter veuille dire avoir un logement. Elle ne dit pas davantage que la poésie ne soit rien de plus qu’un jeu irréel de l’imagination poétique. [2]» Nécessité donc de penser le réel qui nous environne à la lumière, aussi, de la poésie et de l’imaginaire.
Toutefois c’est bien la conception purement techniciste de l’écologie et du développement durable qui constitue l’un des enjeux principaux du projet Métamorphose imposé par la municipalité rose-verte de Lausanne.
L’on constate également que l’un des autres piliers de Métamorphose est l’aspect économique, dont les mots d’ordre sont la croissance et l’attractivité.
Il me semble urgent qu’enfin, une fois pour toute, quelqu’un relève le fait paradoxal que c’est cette croissance outrancière, vantée par nos dirigeants, qui est en grande partie responsable du monde qui appelle justement à la création de ces horribles écoquartiers à 2000W pour survivre ! Il me semble difficilement possible de prôner en même temps une croissance démographique à tout prix et un aménagement intelligent du territoire.
Car sinon, quel rapport au monde nous est proposé ? Les solutions qu’on nous impose, à quoi donc vont-elles nous mener ? Il serait bon que ces « éco-architectes » se plongent dans la lecture des grands récits dystopiques de la science-fiction, histoire qu’ils se rendent compte des dangers potentiels que leurs modèles peuvent annoncer. Ou qu’ils s’interrogent sur ce sujet avec un Luc Schuiten, par exemple...
Mais sur ce dernier point, je reviendrai tout prochainement...




Lausanne, avril 2012


[1] Cf. le dossier de Tribu’architecture, mandaté notamment pour le projet d’écoquartier des Plaines du Loup (je souligne).
[2] Martin Heidegger, Essais et conférences [1954], Paris, Gallimard, 2004, p. 226.