mercredi 31 juillet 2013

Fantômes sémiotiques... Suite...

Je tombe aujourd'hui sur une publicité pour des appartements de standing en vente par chez nous:


Et je me souviens des Petits hommes, de Seron (Alerte à Eslapion, éd. Dupuis, 1986, pour cette illustration, mais série apparue pour la première fois presque vingt ans plus tôt dans le Journal de Spirou) :



Alors, Seron visionnaire, ou fantômes sémiotiques, tels qu'évoqués précédemment sur ce blog, à l'oeuvre?La fiction était-elle un souvenir du futur, ou le réel imite-t-il cette fiction? Doit-on se réjouir de pouvoir enfin vivre dans des bâtiments qui appartenaient il y a peu au domaine de la SF, ou doit-on s'en inquiéter?  La question est ouverte...



mercredi 17 juillet 2013

Violence de l'architecture contemporaine: Tschumi et cie...

J'ai évoqué ici à plusieurs reprises la violence fondamentale à l’œuvre dans l'architecture contemporaine, son intransigeance et sa radicalité. On me l'a reproché, sans toutefois me prouver le contraire. Je vais y revenir donc, mais en attendant, et en guise d'amuse-bouche, deux citations piquantes lues il y a peu :

« Je dirais qu'il y a dans l'art, et dans l'architecture, une recherche de la limite et un plaisir de la destruction. (...) Cette recherche de l'essence atteint des limites qui sont de l'ordre des limites de la perception, et qui sont de l'ordre de l'évacuation du visible. Ce n'est plus l’œil qui permet de jouir, c'est l'esprit. Carré blanc sur fond blanc, c'est une forme de limite. » Jean Nouvel, in Jean Baudrillard Jean Nouvel, Les Objets Singuliers, arléa, Paris, 2012, p. 46 (je souligne)

Outre le pervers plaisir sadien (que d'ailleurs Tschumi cite plusieur fois) érigé en principe moteur de cette nouvelle architecture, que dire de l'évacuation de la pulsion scopique en faveur des délires éthérés d'un art purement conceptuel, dont on sait qu'il a mille fois plus d'intérêt dans la description intellectualisée que l'on peut en faire que dans sa contemplation ou sa confrontation ?

« Tschumi confesse dans Architecture and Disjunction (page 210) :  « ...mon propre plaisir n'a jamais fait surface en regardant des constructions, des chefs d’œuvres de l'histoire ou de l'architecture actuelle, mais plutôt en les démantelant ». Ses clients se sont-ils donnés la peine de lire cette déclaration ? Véhicule-t-elle un sentiment approprié de la part de l'architecte choisi pour un musée situé en face du Parthénon ? En outre, est-ce une déclaration d'un architecte d'autorité à laquelle les étudiants, jeunes et influençables, devraient être exposés ? Tschumi est ici honnête, on ne peut le blâmer : toute critique éventuelle doit être adressée aux institutions qui ont commandé ses œuvres et aidé à la propagation de son message. Peut-être que notre civilisation a atteint le point où elle s'enthousiasme pour une architecture qui violente la forme au lieu de l'assembler de manière cohérente. (...) Les bâtiments déconstructivistes ne font pas l'effort de se connecter et de s'intégrer à leur environnement, pour la simple et bonne raison qu'ils souhaitent s'en dégager. »

« La profession architecturale a validé les livres de Tschumi. Les architectes continuent de les acheter et de les lire, et les enseignants les recommandent en cours de théorie architecturale à l'université. Chacun a le droit d'écrire ce qu'il veut, mais quand les cercles architecturaux professionnels, les journaux architecturaux , les plus grandes universités, les éditeurs respectés des monographies architecturales et les institutions gouvernementales félicitent un architecte sur la base de tels écrits, alors le système tout entier est responsable. Quand les choses vont de travers, le poids de la faute incombe directement à ces institutions. »

Nikos Salingaros, Anti-architecture et déconstruction, Umbau-Verlag, 2009, pp. 160/162


mercredi 3 juillet 2013

Pause estivale...

"Le conformisme anticonformiste est à la mode.
L'avant-garde est devenue le classicisme du XXe siècle.
Toutes les droites se recommandent de gauche. Le Rimbaldisme conserve puissance de dogme. Un homme libre se devait d'accomplir un acte digne de souligner l'étonnante attitude de Raymond RADIGUET, inventant qu'il ne convenait plus de contredire les coutumes, mais l'avant-garde; attitude dont j'ai fait ma règle.
Entrer à l'Académie Française était l'acte anti-intellectuel apte à illustrer cette attitude. Il me fallait ensuite joindre à l'acte une oeuvre. J'ai pensé que la décoration d'une église remplirait à merveille cet office.

Il s'agissait d'accomplir l'acte révolutionnaire par excellence, et de tourner le dos au poncif révolutionnaire devenu dogme.

(...)

Pendant cinq mois j'ai vécu dans la petite nef Saint-Pierre à me battre avec l'ange des perspectives, envoûté par ses voûtes, enchanté, embaumé dirai-je, comme un pharaon attentif à peindre son sarcophage.

(...)

Voilà, en bref, la genèse de cette découverte que nous fîmes, une fois les lieux déblayés, d'un chef d'oeuvre nu de l'art roman, sauvé du vandalisme moderne par la superbe nonchalance méditerranéenne."

Jean Cocteau à propos de la chapelle Saint-Pierre de Villefranche sur Mer, 1957



mercredi 5 juin 2013

Pôle muséal, encore...

Monsieur Philippe Junod, ancien professeur d'histoire de l'art à l'Université de Lausanne, s'exprime très intelligemment sur un sujet qui nous préoccupe ici:

http://collectif-gare.ch/2013/06/05/etat-de-vaud-et-patrimoine-bati-la-valse-des-faux-pa

Retenons, entre autres, le dernier paragraphe de son texte:

"Or le débat aura vu fleurir les malentendus, dont la confusion entre « faux vieux » et reconstitution d’un bien culturel endommagé n’est pas le moindre. Quant au slogan de la « modernité », brandi notamment par la solidarité corporative et anachronique de certains architectes, il laisse songeur. « Être de son temps » aujourd’hui, ce n’est pas rester accroché à l’esthétique urbaine d’un Le Corbusier de l’entre-deux-guerres, dont le fameux « Plan Voisin » proposait de raser le vieux Paris pour y construire des tours, mais bien s’inspirer de la Charte internationale sur la conservation et la restauration des monuments et des sites, dite « Charte de Venise » (1965), dont le respect du patrimoine hérité de nos ancêtres est le principe directeur. Lausanne, hélas, en est encore loin."

mardi 23 avril 2013

Impostures?


A propos du supplément au Temps « Architecture & Design » printemps-été 2014, notamment sur  l'éditorial et l'article consacré à Pierre-Alain Dupraz :

L’œuvre de Monsieur Pierre-Alain Dupraz, telle que présentée dans ces pages, est certes un exercice de style magistral. Toutefois, comme trop souvent dans l'art contemporain, il me semble que la description de l’œuvre par une plume éclairée et élégante, comme c'est le cas dans l'article du Temps, est finalement hélas beaucoup plus intéressante que l'objet en question. Car l'appréciation élogieuse de ce bâtiment a tendance à occulter certaines données fondamentales de ce type de constructions emblématiques de l'esthétique moderniste portée aux nues depuis presque un siècle. Ces volumes immaculés, abstraits et épurés, ces baies vitrées, ce béton brut, ces lignes tristement mais justement décrites comme « découpées au scalpel », appartiennent à une désormais tradition moderniste héritée entre autres du Corbusier qui, au mieux, donne naissance à d'élégantes villas telle que celle décrite dans cet article, mais au pire défigure de plus en plus nos paysages urbains. Car cette esthétique est une violente et radicale négation de tout le vocabulaire architectural traditionnel, et est basée sur le credo hérité du Bauhaus, entre autres, de faire table rase du passé, entraînant par là des dérives irréparables dans les politiques de destructions du patrimoine et du rapport au passé. Cette esthétique est de plus totalement institutionnalisée et quasiment omniprésente, empêchant toute critique en la taxant de rétrograde, voire de réactionnaire, pour autant bien sûr qu'elle y réponde, et assurant par là sa pérennité. Mais sans doute est-ce là un débat plus large que celui qui nous occupe ici.
Pour en revenir plus particulièrement à la façon dont le bâtiment érigé par Monsieur Dupraz nous est présenté, ainsi qu'à son rapport à l'environnement naturel, je pense que nous avons ici affaire à une véritable imposture, propre à l'architecture contemporaine. Lorsqu'il est qualifié de « construction camouflage », et qu'on nous dit  qu'il se « (fond) dans les reliefs du terrain », je m'interroge. Car cette construction, avec ses formes simples et épurées, suit un des principes établis par Le Corbusier, qui donnait sa préférence à des solides « platoniques » et sans ornement. Or l'on sait que ces formes et structures ne se trouvent quasiment pas dans la nature, du moins à une large échelle macroscopique. Elles ont, tout comme les monolithes (et les pyramides par exemple), été érigées par l'humanité pour célébrer sa domination sur l'ordre naturel, et ne peuvent donc en aucun cas être envisagées comme des modèles de cohabitation harmonieuse avec la nature. De plus, leur refus de l'ornement induit une totale absence de hiérarchie dans les rapports entre les différentes échelles du bâtiment, ce qui rend impossible toute similarité avec les structures intrinsèques que l'on rencontre dans l'ordre naturel1. En quoi des architectures qui sont si radicales dans leur opposition avec les esthétiques passées, ainsi qu'avec leurs environnements bâtis et naturels, peuvent-elles décemment nous être présentées comme intégrées, ou pire encore, camouflées ?
Sans compter l'autre élément essentiel de ce bâtiment : le floutage de la frontière entre intérieur et extérieur (« nous sommes en plein dans la nature », « comme en vitrine ») qui pose un certain nombre de problèmes d'ordre quasi psychanalytique2, ainsi que la nécessité d'avoir devant ses fenêtres et autour de soi, pour pleinement jouir des avantages de la construction, un terrain non négligeable, et donc accessible uniquement à une petite élite : voilà qui remet méchamment en question les revendications écologistes contre le mitage du territoire, les constructions non contiguës  etc. (ceci dit les écologistes vert-libéraux n'en sont plus à une contradiction près...).


1 Nikos Salingaros, A Theory of Architecture, Umbau-Verlag, 2006 (chapitre 3 notamment)

dimanche 21 avril 2013

Loos et les fractales...

Tiré d'un récent article de Nikos Salingaros et Michael Mehaffy:

http://www.metropolismag.com/pov/20130419/toward-resilient-architectures-3-how-modernism-got-square


Où les fractales ont bien des choses à dire à Adolf Loos:






"The fractal mathematics of nature bears a striking resemblance to human ornament, as in this fractal generated by a finite subdivision rule. This is not a coincidence: ornament may be what humans use as a kind of “glue” to help weave our spaces together. It now appears that the removal of ornament and pattern has far-reaching consequences for the capacity of environmental structures to form coherent, resilient wholes." 



"In this picture of things, ornament is far from mere decoration. It is a precise category of articulation of the connections between regions of space by the human beings that design them. It can be thought of as an essential kind of “glue” that allows different parts of the environment to echo and connect to one another, in a cognitive sense and even in a deeper functional sense. Ornament, then, is an important tool to form a complex fabric of coherent symmetrical relationships within the human environment."

La conception  de l'ornement encore à l'oeuvre de nos jours, et héritée entre autres du triste sire Adolf Loos, a besoin d'être ré-envisagée sous un angle entièrement nouveau. Car ce fonctionnalisme minimaliste encore actuellement en vogue se leurre en croyant que l'efficacité fonctionnelle peut se réduire à une conception formelle simpliste. Un fonctionnalisme intelligent ne peut être simpliste:

"As one functional example, a certain kind of cell-phone antenna incorporating ornament-like fractal patterns (see above) offers the best performance for its tiny size but cannot be conceptualized within a minimalist form language."


Is this ornamental embroidery? Actually, a fractal antenna which, when miniaturized, makes cell phone reception possible. There is an important role here for functionalism, understood in a much deeper sense. Drawing by Nikos Salingaros

A bon entendeur, Loos!



mardi 16 avril 2013

Révolutions muséales...


Encore, avril 2013, « Sage révolution muséale », Renzo Stroscio

Le supplément au Matin Dimanche du 14 avril 2013 nous présente cinq projets de musées helvétiques, qu'il me semble intéressant de brièvement commenter.
L'auteur commence par les « bâtis bling-bling » qui souvent sont de mise hors de nos frontières. Je ne suis pas, loin s'en faut, fan du « bling-bling », mais peut-être que la Suisse en aurait bien besoin un minimum, pour insuffler un peu de fantaisie dans ses « sages révolutions »...
Le mot d'ordre est donné d'emblée : « motto « épuré et fonctionnel » ». Après presque 100 ans de ravages architecturaux et urbanistiques désolants, l'héritage du Corbusier est toujours proposé au lecteur comme le meilleur du modernisme, dont les « détails sobres, sans fantaisie » sont le « comble de l'élégance ». Depuis quand le manque de fantaisie est-il un gage de qualité et d'élégance ? Sans parler de ce fonctionnalisme imbécile et réducteur dont l'indigence a été prouvée à maintes reprises.
Pour l'extension du Kunsthaus à Zürich, on nous parle d'un « nouvel équilibre entre l'ancien et le nouveau », mais sans dire un mot des bâtiments anciens qui seront allègrement démolis pour permettre au nouveau projet de voir le jour. Étrange équilibre basé sur la destruction du passé, que l'on nous dit en plus « (s'intégrer) de manière optimale dans le tissu urbain » et « cohabiter en douceur ». En quoi une architecture dont l'esthétique est une négation absolue de tout ce qui l'entoure peut-elle être considérée comme « intégrée » ? Et en quoi la violence imposée à l'environnement bâti peut-elle être associée à de la « douceur » ? Que l'on aime ou pas ce genre de bâtiments est un problème, mais que cesse enfin l'imposture ! Que les thuriféraires de ce genre de constructions admettent, assument et revendiquent une fois pour toutes le fait qu'elles sont basées sur une négation absolue de tout le vocabulaire architectural traditionnel sans invoquer cet argument fallacieux et mensonger d'intégration !
Le problème est le même à Lausanne. Le projet « moderne et audacieux » (mais quelle est donc cette audace ? J'en ai déjà parlé sur ce blog...) a paraît-il reçu « une olà majestueuse du jury ». De ce que j'en sais, les choses sont loin d'être aussi simples... mais passons là-dessus. On apprend ensuite que la nouvelle structure « gardera quelques détails d'antan. Deux nefs et une verrière « sauvées » (ici j'apprécie les guillemets) de l'ancien bâtiment des locomotives retrouveront les fastes du passé après une scrupuleuse restauration et seront intégrées au nouvel ensemble ». Ici l'on se retrouve face à la politique lausannoise actuellement en vogue qui, au delà de tous les recensements architecturaux possibles, consiste à considérer que la préservation d'un élément, aussi petit soit-il (morceau de cage d'escaliers, morceau de façade ou autre), suffit, si on le considère comme un symbole ou un infime rappel iconique de ce qu'on s'apprête à détruire, à perpétuer la mémoire du lieu. Et fi de ce qu'on démolit ! L'honneur est sauf ! Les « fastes du passé » ne sont en fait plus que de petites pièces de musée, et au temps pour « la scrupuleuse restauration » !
Que dire encore du « monolithe » prévu à Coire pour 2016, et de l'acoquinement de Genève avec Jean Nouvel, justement nommé « star » de cette nouvelle architecture ?

« Pureté des lignes, économie des formes, les Suisses ne goûtent pas à l'extravagance. Les bâtiments se fondent dans le paysage urbain. (...) C'est aussi ça le renouvellement des villes ! » : Tristesse et indigence ; imposture et utopies dangereuses ! J'espère que la Suisse a autre chose à nous proposer pour son avenir !