Reçu à
peu de jours d'intervalle deux prospectus dans ma boîte à lettres :
« Le
13 avril votez NON » (Mouvement pour la défense de Lausanne)
« OUI
le 13 avril à la tour de Beaulieu » (Beaulieu pour Lausanne)
Le débat autour de cette tour devient pénible, car finalement beaucoup trop politisé1 ou (et) simplifié : Les documents que tous les ménages reçoivent par la poste obéissent chacun au même impératif rhétorique : convaincre le citoyen de la justesse et de la légitimité de son point de vue, et ce à n'importe quel prix. Moi-même n'y échappe pas : cet article ne prétend pas être d'une objectivité absolue (mais qui le peut?), et, pour ceux qui, me connaissant, en douteraient encore, je suis opposé à cette tour, et voterai non le 13 avril.
Toutefois,
un certain nombre de choses me dérangent, en premier lieu au niveau
des illustrations de chacun de ces documents : les partisans de
Taoua refusent de reproduire la moindre image dans laquelle la tour
révèle son impact réel sur le paysage citadin : Sur la page
principale de couverture, le sommet de la tour ne dépasse pas la
ligne d'horizon, de même qu'elle ne dépasse pas les bâtiments
environnants dans les quatre petites illustrations internes au
prospectus : elle apparaît comme n'ayant aucun impact négatif
sur son environnement.
Chez ses opposants, elle apparaît par contre en vue de nuit de façon démesurée contre le ciel vide derrière elle, et comme un rectangle noir violemment posé sur le paysage alpin à l'horizon dans les pages intérieures2. Dans les deux cas les illustrations sont grossièrement réduites au propos qu'elles sont censées illustrer.
Ceci
mis à part, voici les arguments que j'aimerais apporter aux acteurs
du débat, en réponse à ceux qui nous sont exposés dans leurs
documents :
Par
rapport aux partisans :
- Panorama :
Taoua n'est pas le seul point de vue panoramique offert aux
lausannois : existent déjà la tour de Sauvablin, l'esplanade
de la cathédrale, et tant d'autres.... Cette tour n'offre rien de
nouveau de ce point de vue ; elle ampute au contraire certains
d'une vue et d'un ensoleillement certains.
- Ecole :
le besoin en formation de nouveaux infirmiers et infirmières est
incontestable. Mais cette tour est loin d'être la seule réponse
possible ; fidèle à sa politique de densification, la
municipalité ne pourrait-elle pas envisager d'ajouter quelques
étages aux bâtiments déjà existants de La Source ? Ce
qu'elle tente d'imposer au quartier des Bergières, ne peut-elle le
faire sur ce monolithe de verre ?
- Logements :
leur nombre dans cette tour est insignifiant en regard des
nécessités démographiques. Le rapport existant entre les surfaces
dévolues aux lieux techniques et aux lieux habitables étant
dérisoire par rapport à d'autres bâtiments à échelle plus
humaine.
- Emplois :
250 emplois environ.... Certes ces emplois ne sont pas négligeables
en ces temps de chômage.... Mais ce relativement petit chiffre
a-t-il un poids certain face un bouleversement durable (de l'ordre
de plusieurs dizaines, si ce n'est centaines d'années) du paysage
lausannois ?
- Parc
public :
Ici, l'argument de la préservation des surfaces au sol se désagrège
terriblement face à celui de l'ombre portée par la tour,
méchamment oublié dans l'argumentaire des partisans de la tour.
- Ecologie :
le standard Minergie, ici encore est proposé comme la panacée,
sans aucune remise en question. Minergie est un standard
technocratique et bureaucratique parmi tant d'autres... Minergie
n'est pas l'absolu de constructions écologiques intelligentes.
Par
rapport aux opposants :
- Densification
illusoire :
du point de vue de la stricte densification, cette tour est
effectivement moins dense, démographiquement parlant, que pourrait
l'être un bâtiment de même surface uniquement dévolu à
l'habitation. Cet argument me semble irrecevable.
- Aberration
écologique :
Nombre de spécialistes s'accordent sur ce point : une tour,
notamment sur le point de l'énergie grise nécessaire pour la
construire, est une aberration écologique, de même que par rapport
à l'énergie nécessaire à son fonctionnement interne.
- Opération
spéculative :
Que dire sur ce point ? Ce projet est clairement une opération
financière. Ses retombées sur la ville de Lausanne seront sans
doute substantielles, et d'un point de vue purement économique on
ne peut blamer la municipalité de l'encourager, mais que celle-ci
ait au moins la décence de l'assumer jusqu'au bout, sans se cacher
derrière d'obscurs arguments hypocrites.
- échec
urbain :
Une tour serait une forme architecturale anxiogène, aux dimensions
inhumaines. Sans doute la question est-elle mille fois plus
complexe...Je trouve par exemple que nombre de tours, à New York
par exemple, s'intègrent parfaitement, et ont construit un paysage
et un environnement spatial plus qu'intéressants. Toutefois les
contextes sont fondamentalement différents, et, finalement, les
tours sont sans doute vouées à l'échec, qu'elles soient
strictement réservées à des locaux commerciaux ou à des vues
plus globales : relisons Les
Monades urbaines
de Silverberg....
J'aimerais
finalement aborder un point relevé par Monsieur Antoine Hahne, du
bureau Pont 12 à Lausanne, relayé dans le courrier des lecteurs du
24Heures du jeudi 20 mars 2014 :
« De cette démarche émerge le processus créatif qui va donner forme au projet, et non le contraire. Cette démarche s'applique également à Taoua : c'est une tour, mais une tour à Lausanne : un contexte dominé par une architecture des années trente faite de façades en maçonnerie percée. C'est un bâtiment multifonctionnel où se côtoient logements, hôtels, bureaux et services, pas une tour de bureaux d'une city métropolitaine. »
Outre l'émergence de cette tour multifonctionnelle mortifère décrite dans le roman de Silverberg, je m'interroge sur cette affirmation : Le paysage architectural de Lausanne est-il donc réductible à l'esthétique imposée depuis les années 30 ? Que faire alors de tous les témoignages antécédents ? Ont-ils si peu d'importance qu'ils ne puissent plus influencer les constructions actuelles ? Et le contexte architectural de Lausanne est-il vraiment dominé par cette esthétique ? Ou n'est-ce pas plutôt la profession de foi d'un architecte emblématique d'une tendance totalitaire actuelle ?
Bref.
Le débat est loin d'être terminé.....
Lausanne,
mars 2014
1Et
à ce sujet il serait bon que les citoyens votent en fonction de
leurs convictions urbanistiques, et non selon leur appartenance
politique...
2Malgré
mon soutien et mes affinités profondes avec le MDL, je me sens ici
obligé d'avouer mon désaccord avec ces méthodes plus que
discutables. Je pense que des reproductions neutres des infographies
de Taoua seraient suffisamment éloquentes par elles-mêmes pour
exposer leur laideur et leur indigence intrinsèques sans user
d'artifices graphiques douteux...
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