J'ai
évoqué ici à plusieurs reprises la violence fondamentale à
l’œuvre dans l'architecture contemporaine, son intransigeance et
sa radicalité. On me l'a reproché, sans toutefois me prouver le
contraire. Je vais y revenir donc, mais en attendant, et en guise
d'amuse-bouche, deux citations piquantes lues il y a peu :
« Je
dirais qu'il y a dans l'art, et dans l'architecture, une recherche de
la limite et un plaisir de la destruction. (...) Cette
recherche de l'essence atteint des limites qui sont de l'ordre des
limites de la perception, et qui sont de l'ordre de l'évacuation du
visible. Ce n'est plus l’œil qui permet de jouir, c'est l'esprit.
Carré blanc sur fond blanc, c'est une forme de limite. » Jean
Nouvel, in Jean Baudrillard Jean Nouvel, Les Objets Singuliers,
arléa, Paris, 2012, p. 46 (je souligne)
Outre le
pervers plaisir sadien (que d'ailleurs Tschumi cite plusieur fois)
érigé en principe moteur de cette nouvelle architecture, que dire
de l'évacuation de la pulsion scopique en faveur des délires
éthérés d'un art purement conceptuel, dont on sait qu'il a mille
fois plus d'intérêt dans la description intellectualisée que l'on
peut en faire que dans sa contemplation ou sa confrontation ?
« Tschumi
confesse dans Architecture and Disjunction (page 210) :
« ...mon propre plaisir n'a jamais fait surface en regardant
des constructions, des chefs d’œuvres de l'histoire ou de
l'architecture actuelle, mais plutôt en les démantelant ».
Ses clients se sont-ils donnés la peine de lire cette déclaration ?
Véhicule-t-elle un sentiment approprié de la part de l'architecte
choisi pour un musée situé en face du Parthénon ? En outre,
est-ce une déclaration d'un architecte d'autorité à laquelle les
étudiants, jeunes et influençables, devraient être exposés ?
Tschumi est ici honnête, on ne peut le blâmer : toute critique
éventuelle doit être adressée aux institutions qui ont commandé
ses œuvres et aidé à la propagation de son message. Peut-être que
notre civilisation a atteint le point où elle s'enthousiasme pour
une architecture qui violente la forme au lieu de l'assembler de
manière cohérente. (...) Les bâtiments déconstructivistes ne font
pas l'effort de se connecter et de s'intégrer à leur environnement,
pour la simple et bonne raison qu'ils souhaitent s'en dégager. »
« La
profession architecturale a validé les livres de Tschumi. Les
architectes continuent de les acheter et de les lire, et les
enseignants les recommandent en cours de théorie architecturale à
l'université. Chacun a le droit d'écrire ce qu'il veut, mais quand
les cercles architecturaux professionnels, les journaux
architecturaux , les plus grandes universités, les éditeurs
respectés des monographies architecturales et les institutions
gouvernementales félicitent un architecte sur la base de tels
écrits, alors le système tout entier est responsable. Quand les
choses vont de travers, le poids de la faute incombe directement à
ces institutions. »
Nikos
Salingaros, Anti-architecture et déconstruction,
Umbau-Verlag, 2009, pp. 160/162