lundi 25 mars 2013

Mathornement


La nécessité mathématique de l'ornement, Nikos A. Salingaros

Je découvre ces jours l’œuvre de Nikos Salingaros, professeur de mathématiques et de physique à l'Université du Texas, et qui a publié nombre d'articles et d'essais passionnants sur l'architecture et l'urbanisme, et sur lesquels je reviendrai ici à de nombreuses reprises.
Un de ses articles apporte des réponses passionnantes et fort stimulantes à certaines questions que j'abordais dans mon livre Du Réel à venir. Voici, en attendant que je publie ici de plus longs articles qui dialogueront longuement avec sa pensée, quelques citations tirées de cet article :

Au début des années1920 une préférence pour les solides non ornés, platoniques -- tels que les cubes, les triangles, les sphères, etc. -- est établie comme l'un des principes de la nouvelle architecture (Le Corbusier, 1927). A cette époque beaucoup de personnes prétendent que les formes régulières sont ancrées quelque part dans la conscience humaine, de telle sorte que le cerveau est programmé pour les préférer. Nous savons que ceci est faux (Bonta, 1979). Les êtres humains doivent être entraînés s'ils veulent reconnaître les solides platoniques, purs concepts intellectuels (Fischler et Firschein, 1987 ; Zeeman, 1962). Ce qui est construit dans la conscience humaine, c'est un mécanisme de reconnaissance qui se base sur les subdivisions hiérarchiques, indépendamment de la forme globale de la structure.
La préférence pour les solides Platoniques a finalement pris part à la tradition architecturale de ce siècle. En fait, on pourrait dire que le succès de l'architecture moderniste est dû à la quasi-inexistence dans la nature de solides Platoniques à l'échelle macroscopique. Ainsi un bâtiment avec une forme pure et abstraite fait contraste avec l'environnement naturel et sort du rang. Le soleil et la pleine lune -- tous deux des cas exceptionnels de disques parfaits -- furent les objets de prière des anciens. C'est aussi le cas des monolithes. L'humanité a construit à travers l'histoire des structures non naturelles telles que les pyramides, précisément dans le but d'affirmer la domination de l'homme sur la nature. (...)

L'organisation d'un bâtiment par des échelles distinctes (ou leur absence) a un impact émotif immédiat sur l'utilisateur, ce qui soutiendrait la théorie cognitive de Gibson. Dans le passé, cet effet de perception directe créait habituellement -- mais non sans exception -- un état émotif résolument positif. De nos jours, la réaction à la plupart des nouveaux bâtiments tend à être négative. Ces qualités non naturelles sont imposées aux bâtiments de façon tout à fait délibérée. Les architectes contemporains copient des images, qui définissent un style particulier en vertu du fait qu'elles s'affranchissent de la hiérarchie intégrée des structures naturelles. Trois méthodes qui peuvent être récapitulées comme suit sont utilisées: 

(a) Intervalle trop grand entre échelles. Ceci se produit lorsque les sous-structures intermédiaires entre les formes principales et les petits détails des matériaux sont supprimées. Il manque souvent, dans les bâtiments qui présentent des détails très fins, les échelles médianes et inférieures. Un saut exagéré d'échelle se ressent immédiatement, créant une réaction fortement négative chez l'utilisateur. Les frontières évidentes entre les sous-sections sont souvent supprimées ou camouflées pour empêcher la division des formes les plus grandes en plusieurs composants.
(b) Elimination des échelles inférieures. Les architectes minimalistes ont une préférence pour les matériaux amorphes tels que le verre et le béton qui n'ont de sous-structure intrinsèque à aucune échelle. Ceux-ci sont alors utilisés de telle manière qu'aucune échelle inférieure n'apparaît. Le bâtiment n'est autorisé à posséder qu'un nombre très restreint d'échelles, et toutes doivent être de grandes dimensions. L'utilisation brutaliste du béton supprime la partie inférieure de la hiérarchie d'échelles, laissant l'utilisateur sans rien sur quoi se focaliser à l'échelle de la longueur de bras.
(c) Echelles trop étroitement espacées. Brouiller les distinctions entre échelles c'est détruire la hiérarchie d'échelle. Ceci résulte d'une conception surchargée, qui inclue beaucoup d'unités différentes sans correspondances et qui n'ont pas tout à fait la même taille. Les variations aléatoires tuent délibérément la répétition et le rythme. La hiérarchie disparaît lorsque les échelles elles-mêmes sont indistinctes ou lorsqu'elles sont effectivement bien définies mais distribuées aléatoirement. Certains architectes planifient l'« aléatoire » très soigneusement, mais aboutissent le plus souvent à un manque de coopération entre les différents composants.  (...)
Selon la théorie des systèmes complexes, les grandes échelles dépendent de manière essentielle des petites échelles. Si nous éliminons n'importe quelle échelle architecturale pour laquelle nous ne trouvons pas de justification fonctionnelle, alors nous ruinons la cohérence de la structure entière. Il existe, néanmoins, une gamme d'échelles pour lesquelles il est difficile de justifier d'un besoin fonctionnel. Ce sont les échelles entre 30cm et 3mm, c'est-à-dire les échelles de structure qui définiront l'ornement dans toutes les architectures traditionnelles (Alexander et autres., 1977). La conclusion est que ces échelles -- que l'on perçoit comme nécessaires dans leur contexte originel visuel et émotif -- sont en effet nécessaires pour définir la cohérence du système complexe. C'est ainsi que le système artificiel acquiert les propriétés émergentes que lui donnent sa cohérence. (...)



De telles règles de planification scientifiques n'imposent pas un style visuel; elles travaillent sur le niveau fondamental des éléments de base de conception. Ces règles sont vérifiées par les bâtiments historiques les plus reconnus, et également par les architectures vernaculaires. Le modèle du style architectural est une question de choix individuel, mais l'ordre architectural est profondément lié à l'expérience humaine. Les bâtiments ont toujours possédé une distribution discrète des échelles structurelles prédominantes, jusqu'à ce que nous arrivions au XXème siècle, au cours duquel les échelles architecturales ont été supprimées, soit éliminées, soit distribuées au hasard de façon irrégulière. Ces façons de faire de l'architecture, à l'origine introduites comme « innovatrices », empêchent toute propriété émergente de voir le jour, ce qui était caractéristique des structures les plus cohérentes.

(http://zeta.math.utsa.edu/~yxk833/mathornament-french.html, je souligne).



Commentaires, et ils seront nombreux car passionnés, à venir...



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