Lettre ouverte aux autorités lausannoises et
cantonales, décideurs du projet « Plate-forme Pôle muséal »
Jusqu’au 24
septembre 2012 est mis à l’enquête le plan d’affectation cantonal de la
« Plate-forme Pôle muséal ».
Dès que ce
projet fut présenté, on érigea, à nouveau, le minimalisme en dogme de la pensée
architecturale et urbaniste lausannoise. Dans un éditorial du 24Heures, le
rédacteur en chef Thierry Meyer évoquait dans ce choix une « intelligence
[...] bien vaudoise, [...] d’une rationalité élégante, d’une audace qui préfère
la simplicité à l’esbroufe. » Mais qu’est-ce donc que cette intelligence
vaudoise, qui se réfugie dans le pur rationnel, le lisse, le soigné, le
conforme, et qui apparemment n’ose plus flirter avec l’exubérance, la fantaisie
et le rêve, ne nous offrant plus que surfaces stériles, volumes simplistes,
autels voués à l’orthogonalisme (corollaire de la pensée droite) le plus déprimant et le plus fade ? Est-ce donc là
toute « l’audace » vaudoise ? Qui ne propose plus au citoyen que
de déprimantes infographies grises et cubiques (ou parallélépipédiques) en
guise de visions d’avenir ?
Le
précédent projet de musée à Bellerive avait pourtant clairement été rejeté,
entre autres, pour son aspect bunker et cercueil à chaussures... Mais De gustibus et coloribus non disputandum
me répondra-t-on, encore et toujours... Toutefois, en une attitude
pathologiquement psychorigide, et, peut-être, par un souci de gloriole
testimoniale, nos autorités s’obstinent.
Parlons du
rapport au passé alors. Le projet retenu par l’audacieuse élite dirigeante
vaudoise oublie que le cahier des charges stipulait que la halle aux
locomotives devait être préservée autant que possible. Mais qu’importe la plus
petite considération pour le moindre héritage architectural face au credo
bassement utilitariste de la densification à outrance qui gangrène peu à peu
tout Lausanne ? Car tout bâtiment, à moins d’avoir la chance d’être
surclassé et surprotégé, n’est plus envisagé avec condescendance que comme un
« témoin sympathique du patrimoine régional », dont on se débarrasse
allégrement et sans la moindre compassion. Pour preuve le bâtiment de Francis
Isoz, anciennement rue de la Gare 39 que nos autorités ont livré aux
pelleteuses de l’empire Edipresse, qui désirait depuis longtemps se débarrasser
d’un témoignage de l’héritage architectural du début du 20ème siècle
qui ne s’accordait plus avec ses visions d’avenir. Lausanne a clairement amorcé
une politique ouverte de démolition. J’en veux pour autre preuve la prochaine
démolition du Lausanne Guesthouse, abandonné à la politique d’expansion de la
gare CFF, qui certes souffre d’engorgement et d’une explosion démographique
qu’il serait peut-être bon de cesser d’encourager (mais ceci est un autre
débat), et prétend que la seule solution à sa nécessaire expansion est de
détruire et démolir nombre d’immeubles admirables du siècle passé. Les
architectes-démolisseurs nous disent leur « obsession de l’intégration à
la ville ». J’attends encore que l’on m’explique en quoi leurs surfaces
stériles s’intègrent, ou même s’accordent avec leur environnement bâti (à moins
bien sûr que la négation de toutes les caractéristiques architecturales qui les
entourent ne soit une nouvelle définition de l’intégration... Elle semble en tout
cas une définition de l’urbanisme contemporain à Lausanne : son
architecture est un manifeste du vide
et de la platitude absolue, une négation de tout héritage architectural et
patrimonial).
Dès lors,
quelle est la logique urbanistique qui amène à concentrer à la gare les
principaux musées lausannois ? Alors que visiteurs et touristes pourraient
visiter ces musées en parcourant tout Lausanne (tout d’abord l’Elysée, puis
Rumine en son centre, et enfin le MUDAC qui les amènerait à parcourir la vieille
ville), participant ainsi pleinement et véritablement au dynamisme voulu par les autorités, on les concentre et les confine
autour de la gare.
De plus, ce
pseudo concept de « Projet plate-forme pôle muséal » fait méchamment
penser à un genre de centre commercial de la culture, où tout est à portée de
main, à proximité de la gare, qui elle aussi vise au commercial avant tout. Et
on sait depuis la reconfiguration du Flon que nos autorités apprécient, et pire
encore, vantent le fait que « le cœur de Lausanne tend à devenir un grand centre
commercial à ciel ouvert[1] ».
Perspective hautement réjouissante, donc....
Je finirai
par demander à nos autorités, alors que Monsieur Michel Thévoz, ancien
conservateur du Musée de l’Art brut et professeur d’histoire de l’art à
l’université de Lausanne, avait démontré que le Palais de Rumine est, et
pourrait rester, le lieu idéal du Musée cantonal des Beaux-Arts (et nous sommes
nombreux à l’appuyer en ce sens), pourquoi elles ont sciemment ignoré et passé
outre ses excellentes compétences en muséologie, et pourquoi elles s’obstinent
à vouloir créer un nouveau musée quand celui-ci existe déjà ?
Richard
Tanniger
Lausanne,
septembre 2012