lundi 28 mai 2012

Fantômes sémiotiques...


Relisant hier la nouvelle inaugurale de William Gibson, Le continuum Gernsback, je m’amusai d’abord d’y relever, à propos du Johnson’s Wax Building de Frank Lloyd Wright, que sa réalisation « semblait avoir été conçue pour des êtres en toges blanches et sandales de plexiglas. » ! Mais passons... quoique...
Plus intéressante était la remarque que faisait au narrateur l’un de ses amis à propos d’une vision que celui-là aurait eue :
« Si tu désires une explication plus chic, je peux te dire que tu as vu un fantôme sémiotique. Prends ces histoires de contactés par exemple. Eh bien, elles s’ancrent toutes dans une espèce d’imagerie de science-fiction qui baigne notre culture. Je t’assure que je pourrais accepter ces extraterrestres s’ils n’avaient pas l’air de sortir des bandes dessinées des années cinquante. Ce sont des fantômes sémiotiques, des rescapés d’une imagerie culturelle enfouie au plus profond de l’inconscient qui ont acquis une existence propre, à la façon des véhicules spatiaux de Jules Verne que les vieux fermiers du Kansas ne manquaient jamais d’apercevoir. Et toi, tu as vu un autre type de fantôme, voilà tout. Cet avion appartenait autrefois à l’inconscient collectif et tu as flashé là-dessus. L’essentiel, c’est de ne pas t’inquiéter à ce sujet. »
Il faut bien sûr d’abord y voir une description intelligente des processus à l’œuvre dans le steampunk, mais il peut également être intéressant d’appliquer cette idée à certains modèles architecturaux.
Si l’on pense à quelques films qui ont marqué l’imaginaire de la SF, tels que THX 1138, ou, pour prendre un exemple beaucoup plus récent, The Island, il aurait pu être amusant qu’un homme du XXIème siècle fût victime d’hallucinations d’univers urbains blancs monochromes, et que ceux-ci ne relevassent que de ce phénomène de fantômes sémiotiques.
Hélas, si l’on se penche sur les illustrations de nombre d’éco-quartiers que l’on nous propose aujourd’hui, il semble que ces espaces uniformément blancs, épurés, aseptisés et confinés, mais présentés de manière idyllique, aient quitté le domaine du fantomatique pour le réel. L’imagerie SF des années 30 et 50 semble avoir quitté le monde de la représentation fictive pour celui des présentations infographiques des nouveaux architectes.
Je me réserve pour plus tard l’exercice, qui sera sans doute édifiant, consistant à comparer les représentations iconographiques des dystopies urbaines futures avec les alarmantes infographies actuelles. Mais j’engage déjà chacun à commencer d’y penser...
Car je pense qu’il y a lieu de s’inquiéter. Et sérieusement.


Lausanne, mai 2012