mardi 10 avril 2012

Ecologies...

L’écologie, nous dit l’étymologie, se veut l’étude des milieux qu’habitent, entre autres, les être vivants que nous sommes, et des rapports que ceux-ci entretiennent avec ceux-là. Elle vise à penser le meilleur équilibre possible entre l’homme et son environnement naturel. L’écologie est donc avant tout pensée et réflexion. Interrogation sur ce qui constitue l’habitation au sens large (oikos) de l’homme.
Je voudrais ici brièvement questionner au sujet de l’écologie telle qu’elle se présente à nous actuellement.
L’on sait le monde catastrophique que, sans aucun doute à raison, les écologistes veulent éviter. Ce monde, je n’en veux pas non plus. Mais, en réponse à ce problème, que nous propose-t-on aujourd’hui, dans le domaine de l’architecture et de l’habitat, à Lausanne en particulier ? Le discours courant et désormais communément admis se réfère avant tout à des critères strictement techniques. On nous démontre que l’essentiel du parc immobilier est ancien et mal isolé, certes, mais ouvrant ainsi grand la porte au désir de certains de faire table rase du passé et de démolir ce qui ne correspond plus aux nouvelles normes. Conception, on le sait, très en vogue au sein des instances dirigeantes de Lausanne. On nous définit nos futures maisons comme des « outils technologiques complexes [1]» à utiliser et à habiter de manière adéquate et cohérente. Conception tristement rationnalisante et techniciste de l’habitation.
 Le label Minergie nous est présenté comme l’idéal absolu de la réflexion écologiste actuelle. Qu’en est-il de ce label ? Des isolations démentielles à triple vitrage, des systèmes d’aération où le simple fait d’ouvrir une fenêtre est considéré comme un crime contre l’économie d’énergie, des insonorisations extrêmes qui frisent l’autisme le plus déprimant, une absence totale enfin de toute prétention à l’ornementation et la décoration du bâti, et j’en passe...
Cette soumission de la pensée écologique à des critères strictement techniques et économiques me semble extrêmement réductrice. Car elle oblitère totalement la pensée poétique de ce qui fait l’habiter de l’homme. Car on sait «qu’il pourrait être utile de considérer avec calme la parole du poète. Elle parle de l’habitation de l’homme. Elle ne décrit pas les conditions présentes de l’habitation. Surtout, elle n’affirme pas qu’habiter veuille dire avoir un logement. Elle ne dit pas davantage que la poésie ne soit rien de plus qu’un jeu irréel de l’imagination poétique. [2]» Nécessité donc de penser le réel qui nous environne à la lumière, aussi, de la poésie et de l’imaginaire.
Toutefois c’est bien la conception purement techniciste de l’écologie et du développement durable qui constitue l’un des enjeux principaux du projet Métamorphose imposé par la municipalité rose-verte de Lausanne.
L’on constate également que l’un des autres piliers de Métamorphose est l’aspect économique, dont les mots d’ordre sont la croissance et l’attractivité.
Il me semble urgent qu’enfin, une fois pour toute, quelqu’un relève le fait paradoxal que c’est cette croissance outrancière, vantée par nos dirigeants, qui est en grande partie responsable du monde qui appelle justement à la création de ces horribles écoquartiers à 2000W pour survivre ! Il me semble difficilement possible de prôner en même temps une croissance démographique à tout prix et un aménagement intelligent du territoire.
Car sinon, quel rapport au monde nous est proposé ? Les solutions qu’on nous impose, à quoi donc vont-elles nous mener ? Il serait bon que ces « éco-architectes » se plongent dans la lecture des grands récits dystopiques de la science-fiction, histoire qu’ils se rendent compte des dangers potentiels que leurs modèles peuvent annoncer. Ou qu’ils s’interrogent sur ce sujet avec un Luc Schuiten, par exemple...
Mais sur ce dernier point, je reviendrai tout prochainement...




Lausanne, avril 2012


[1] Cf. le dossier de Tribu’architecture, mandaté notamment pour le projet d’écoquartier des Plaines du Loup (je souligne).
[2] Martin Heidegger, Essais et conférences [1954], Paris, Gallimard, 2004, p. 226.