mercredi 7 mars 2012

Rénovations à la Rue Curtat


Il convient tout d’abord de chaleureusement remercier ceux qui ont décidé de maintenir et de rénover ces bâtiments, car nous sommes à Lausanne, et il avait de ce fait bien évidemment été envisagé de les démolir...
L’on constate avec plaisir le maintien des éléments suivants : conservation de la structure, charpente rénovée, maintien de certains parquets et escaliers d’origine[1], des encadrements en molasse, des volets sur certaines façades, ainsi que des tuiles en terre cuite (les maîtres d’œuvre du projet Rosebud, prévu non loin d’ici, devraient en tirer une leçon...)
La présence toutefois de certains détails m’interpelle : l’intrusion du béton apparent, notamment dans l’horrible ajout strictement orthogonal au toit plat, ainsi que dans l’escalier de communication intérieure, l’usage des ferronneries en étain au lieu du cuivre que l’on trouve dans tous les autres bâtiments environnants, la barrière du balcon, en métal gris également et totalement dépourvue de décorations, les portes vitrées et en métal (alors que pourtant une troisième a été refaite en bois par un menuisier talentueux), le blanc pur des façades.
Il y a sans doute deux principales explications à cela. D’une part un impératif strictement économique, dont tout propriétaire doit hélas tenir compte (il est meilleur marché en effet de poser des barrières en métal lisse et sans décorations plutôt qu’en fer forgé ouvragé, des portes vitrées ou entièrement métalliques plutôt qu’en bois travaillées par des artisans). Et d’autre part le désormais sacro-saint et inattaquable impératif écologique et le nouveau despotisme de la labellisation Minergie. Il est certes louable que soient alloués des subsides pour de telles rénovations, mais parallèlement au Centime Climatique, ne pourrait-on songer à je ne sais quel Centime Esthétique, qui permettrait et récompenserait l’élégance classique, la cohérence architecturale plutôt que la simple soumission à des critères strictement et désespérément techniques ?
L’idée en fera sans doute sourire plus d’un, mais les critères écologiques et économiques doivent-ils impérativement prévaloir sur tous les autres, au détriment du paysage urbain ?


Lausanne, le 7 mars 2012



J'ose espérer que la partie gauche de l'immeuble n'est pas définitive...
L'on constate toutefois qu'il semble désormais impossible aux architectes contemporains de se limiter aux toits en pente...


Verre, métal et béton: sommes-nous bien dans un quartier historique??


Dieu merci, certains ne renoncent pas encore aux matériaux nobles et élégants...


[1] Je constate toutefois que les escaliers en question se retrouvent isolés dans des cages lisses et d’un blanc immaculé, et donnent la désagréable impression d’avoir été conservés comme des pièces de musée... Impression relayée par l’ambiance intérieure générale, aux murs lisses, aux plafonds sans moulures, aux angles abrupts, et qui ne rappelle plus en rien celle d'un appartement d’époque.

lundi 5 mars 2012

Habitat et transparence

Une architecture qui se nie...


Pour qui s’intéresse aux tendances actuelles en matière d’habitat et de construction, la Suisse semble offrir, à en croire certains organes de la presse régionale, plusieurs modèles de maison idéale : la lauréate du Prix d’architecture 2012 d’IdealesHEIM dans le canton de Fribourg, le bâtiment érigé au-dessus de Sierre par Renggli architectes ou celui près du lac de Lugano par Jacopo Mascheroni, pour ne citer qu’eux. Avec comme mantra l’ode absolu à la transparence, qui nous est présentée comme une sublimation de l’espace construit, une symbiose entre habitat et environnement[1].
Que peut-on en dire ?
Commençons par relever que l’argument principal en faveur de telles constructions les restreint à un très petit nombre de privilégiés. Car la jouissance qu’elles offrent à leurs occupants de panoramas idylliques n’est permise qu’à des constructions isolées et perdues au sein d’une nature certes magnifique, mais qui ne l’est justement que si elle n’est pas dénaturée (c’est le cas de le dire) par d’autres constructions bétonneuses ! Il y aura encore beaucoup à en dire...
Passons ensuite sur l’usage excessif de ce béton si laid et vulgaire, pour nous concentrer sur ce « sentiment d’être dehors tout en étant à l’intérieur », induit par le floutage de la frontière entre extérieur et intérieur.
Cette problématique du Dedans et du Dehors est fascinante à plus d’un titre : fondamentale pour l’architecture, car celle-ci est sans doute le seul art à penser la spatialité intérieure comme centrale à sa pratique ; et elle nous amène également à l’envisager d’un point de vue psychanalytique. L’on sait en effet que depuis les années trente et l’avènement du plan libre, « l’habitation privée de parois closes et infranchissables, projetée à l’extérieur, ouverte vers un horizon éloigné, indéterminé, l’affranchissement par rapport à la limitation d’une coquille extérieure, sembla un signe de la libération de l’homme à l’égard de la captivité close à laquelle l’avait contraint l’indispensable présence du mur (de bois, de maçonnerie) et qui désormais, avec l’avènement de l’acier et du verre, venait à disparaître.[2] » Ainsi les grands maîtres du rationalisme européen, Mies van der Rohe, Le Corbusier et cie en tête, crurent-ils pouvoir se débarrasser du besoin qu’a l’homme des espaces clos, intimes et secrets. Ainsi dans nos nouvelles maisons idéales : « avant, c’était un lieu intime, maintenant on veut de la clarté partout ».
Mais que peut bien signifier ce refus de l’intime et des espaces clos ? Cette dissolution de l’espace intérieur, ou sa projection vers l’extérieur, signifierait-t-elle un refus de l’inconscient, un refus des espaces qui symboliseraient une intériorité utérine et protectrice ? Un refus de l’irrationnel, du caché, du secret, toutes choses pourtant nécessaires à la psyché humaine ? Cette option serait peut-être viable pour qui serait totalement exempt de tout conflit interne. Mais en sommes-nous vraiment là ? Il me semble plutôt voir là l’apparition d’individus aveuglément soumis à la rationalité despotique imposée par nos architectes, urbanistes et décorateurs d’intérieur contemporains, et qui viennent habiter des maisons où l’espace intérieur a été profondément violenté et tourné de force vers l’extérieur. Et « la chose peut être inacceptable en raison de la présence de résistances et de censures.[3] » Attention donc au retour du refoulé !
Car cette conception de l’habitat, en forçant le regard vers l’extérieur, en forçant l’habitant à disparaître au profit du décor ambiant, le force à s’oublier lui-même. De même l’usage d’une palette de différents gris, « ...couleur qui sait se faire oublier pour mettre en valeur ce qui l’entoure ».
Architecture qui nie son intériorité et donc qui se nie, ainsi que celle de son usager.
De plus, les diktats de l’écologie et du développement durable n’arrangent pas les choses, qui imposent aux quartiers dits « éco-responsables » des isolations démentielle : des triples vitrages, des systèmes d’aération qui renouvellent l’air sans avoir à ouvrir les fenêtres (non, ce n’est pas une plaisanterie...), et des insonorisations extrêmes qui frisent l’autisme le plus déprimant...

L’écologie, à quel prix ??

Bref, il semble y avoir bien du souci à se faire sur l’avenir de la santé mentale des habitants de nos futurs éco-quartiers et bâtiments classés Minergie...

J’en appellerai pour finir aux toujours salutaires surréalistes, qui « André Breton en tête [...] ont bien senti à quel point le fonctionnalisme se retournait contre son utilisateur et que la transparence n’était pas une facilité pour mieux voir le surréel que le monde contient, mais un renfermement aseptisé, gommant les limites et mêlant l’intérieur à l’extérieur sans l’épreuve alicienne du miroir à traverser...[4] »

Lausanne, mars 2012


[1]Voir par exemple les 24 heures des 1er février et 3-4 mars 2012 , ou encore le catalogue de l’exposition Habitat et Jardin 2012
[2] Gillo Dorfles, « Innen et Aussen en architecture et en psychanalyse », in Nouvelle Revue de Psychanalyse, numéro 9, Printemps 1974, Gallimard, Paris, p. 233 (je souligne)
[3] Idem, p. 237
[4] Thierry Paquot, Un philosophe en ville, infolio éditions, 2011, p. 91