jeudi 16 juin 2011

Blues lausannois


Comme depuis trop longtemps à Lausanne, le minimalisme est à nouveau érigé en dogme de la pensée architecturale et urbaniste. Dans son éditorial, le rédacteur en chef Thierry Meyer évoque dans ce choix une « intelligence [...] bien vaudoise, [...] d’une rationalité élégante, d’une audace qui préfère la simplicité à l’esbroufe. »

Qu’est-ce donc que cette intelligence vaudoise, qui se réfugie dans le pur rationnel, le lisse, le soigné, le conforme, et qui apparemment n’ose plus flirter avec l’exubérance, la fantaisie et le rêve, ne nous offrant plus que surfaces stériles, volumes simplistes, autels voués à l’orthogonalisme (corollaire de la pensée droite) le plus déprimant et le plus fade ? Est-ce donc là toute « l’audace » vaudoise ? Qui ne propose plus au citoyen que de déprimantes infographies grises et cubiques (ou parallélépipédiques) en guise de visions d’avenir ?
De plus, le projet retenu par l’audacieuse élite dirigeante vaudoise oublie que le cahier des charges stipulait que la halle aux locomotives devait être préservée autant que possible. Mais qu’importe la plus petite considération pour le moindre héritage architectural face au credo bassement utilitariste de la densification à outrance qui gangrène également peu à peu tout Lausanne ?
Car tout bâtiment, à moins d’avoir la chance d’être surclassé et surprotégé, n’est plus envisagé avec condescendance que comme un « témoin sympathique du patrimoine régional », dont on se débarrasse allégrement et sans la moindre compassion. Certains en arrivent même à déplorer que Lausanne mette en avant les beautés de la cathédrale face au Learning Center d’Ecublens ou l’ECAL de Renens (Peter Rothenbüler dixit)... Que vaut effectivement la cathédrale de Lausanne face aux audacieux projets qu’on nous propose de nos jours ?
Nous sommes désormais définitivement assurés du mot d’ordre qui régit l’urbanisme et l’architecture à Lausanne, loué par un architecte de la place interrogé sur ce projet :

« Tout raser, c’était la solution idéale ! »

Nous voilà rassurés quant à l’avenir de la cité...

Juin 2011

mardi 14 juin 2011

De l'air!!!

Commentaire de l’article Des épures à l’air pur..., paru dans le 24H du 25 juin 2011


(Notons tout d’abord en guise de remarque liminaire que les réalisations architecturales contemporaines sont toujours présentées dans la presse locale de manière désespérément dithyrambiques, les journalistes étant apparemment d’emblée acquis à la cause présentée. Mais ceci est une autre affaire...)
L’article qui nous occupe ici présente différents exemples de chalets contemporains disséminés dans nos montagnes avoisinantes. Je ne parlerai que des exemples cités dans l’article en question, mais le propos pourrait sans difficulté aucune s’appliquer à nombre des constructions louées par l’ouvrage dont il est question.
La première création est décrite comme étant « greffé[e] dans trois chalets 1900 ». Le terme employé est révélateur : nous avons bien affaire à l’œuvre de tristes archi-chirurgiens esthétiques qui amputent et abusent de leurs scalpels sur leurs sujets d’étude, leur ajoutant des prothèses très justement décrites comme de simples « boîtes de 6m2 chacune », dont l’intérêt – c’est justement la fonction d’une boîte - ne réside peut-être que dans le contenu (nous y reviendrons).
Comme si l’ajout de prothèses ne suffisait pas, il s’agit ensuite de « démonter » les constructions déjà existantes, de « dynamiter » leurs assises, et enfin d’y ajouter des « coques de béton armé » et de les recouvrir de « tôle verte ». Destruction et ajout des matériaux les moins nobles possibles, et ceci en vue de buts strictement fonctionnels, sans aucune considération pour l’esthétique passée.
Ces nouvelles réalisations nous sont présentées comme des « cubes à vivre » qui font la part belle au béton brut [et] pourraient avoir été signé[e]s Le Corbusier ». La triste filiation est avouée : l’influence du sinistre sire de l’architecture métastase jusques aux plus hautes altitudes...
Mais le plus intéressant est l’expression employée pour définir cette réalisation : « sublime juxtaposition ». Il est fascinant de constater que soit usité l’adjectif « sublime » dans un contexte de paysage alpin. Amorcée par Kant au 18ème siècle, la notion de sublime fut largement explorée dans la littérature romantique du 19ème siècle. Les paysages alpins y étaient motifs à s’ennivrer de leur sauvage beauté, à s’effrayer de leur puissance brute.
Face à ces panoramas de roches brisées, aux lignes tortueuses et inégales, en quoi les médiocres constructions contemporaines, cubiques, parallélépipédiques, minimalistes et épurées répondent-elles aux paysages qui les entourent ? Que l’on m’explique en quoi elles s’intègrent à l’environnement, du moins d’un point de vue esthétique ! Il semble en fait qu’elles n’aient été pensées que d’un point de vue intérieur. Le résident jouit effectivement du panorama qui l’entoure, au travers de larges baies vitrées, mais l’observateur extérieur ne peut qu’être agressé par cette architecture brute, négation absolue du paysage environnant.
Il y a encore beaucoup à penser et à écrire à ce sujet...


Richard Tanniger
Lausanne, 14 juin 2011